FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Carol Shields Titre : Jane Austen Lieu : Etats-Unis (édition anglaise) ; Montréal (traduction française) Édition : Lipper /Penguin book - Fides Collection : Grandes figures grandes signatures Année : [2001] 2002 Pages : 234 p. Cote : McGill PR4036 548, 2001 Désignation générique : Aucune. Note : Ce volume a été mis en nomination pour le Charles Taylor Prize for literary non-fiction.

Bibliographie de l’auteur : The stone diaries (Prix Pulitzer et prix du Gouverneur général du Canada 1994) ; Small ceremonies (1976) ; Larry’s party (1997), etc.

Biographé : Jane Austen

Quatrième de couverture : « La grande romancière canadienne, Carol Shields, retrace le parcours fascinant d’une femme dont les œuvres continuent de séduire des générations de lecteurs depuis plus de deux cents ans. Shields suit Jane Austen depuis son enfance au presbytère de Steventon jusqu’à ses derniers moments à Winchester ; elle se penche sur ses relations familiales, ses liens privilégiés avec sa sœur Cassandra, ses amitiés, ses espoirs matrimoniaux déçus. Aux fil des pages, elle relève aussi bien la femme privée que l’écrivain de génie, l’auteur des classiques tels Le cœur et la raison [Sense and Sensibility], Orgueil et préjugé [Pride and Prejudice] et Emma. Ponctué des fines observations d’une romancière chevronnée sur le processus créatif, ce magistral portrait de Jane Austen constitue également une réflexion sur la façon dont naissent les grandes œuvres. »

Préface : Nommée ici « Prologue : Regards sur une vie ». Ce prologue est une mise en scène de Carol Shields lorsque, à l’automne de 1996, sa fille, l’écrivain Anne Giardini, et elle, se rendent à Richmond en Virginie pour donner une conférence dans le cadre d’un colloque organisé par la Jane Austen Society of North America. Shields décrit d’abord le but de cette association, soulignant qu’elle regroupe aussi bien les « grands spécialistes » que les « simples amateurs » titre dont elle se réclame, et mentionne le caractère convivial de ses réunions, comme en font foi les « quiz Austen » (À ce sujet, elle mentionne que son « appréciation plutôt impressionniste de l’œuvre d’Austen exclut le type de connaissances qu’exigent ces joutes » p.10). Shields présente ensuite le colloque et la communication qu’elle et sa fille donnaient sur « les enjeux du regard », ce dernier point donnant lieu à quelques commentaires sur l’univers romanesque de Jane Austen. L’anecdote du colloque se poursuit une fois la conférence terminée, alors que la fille de Shields rencontre un homme qui lui dit que Jane Austen, parce qu’elle ne parle pas des guerres napoléoniennes, n’a rien dit sur les événements de son époque. En quelques paragraphes, Shields récuse l’accusation. Le « prologue » se termine sur ces mots qui éclaire en partie l’orientation de la biographie : « Pour le lecteur même peu averti, la période qui fut celle d’Austen (1775-1871) revêt grâce à son regard lucide une forme nette, des traits précis. Ce regard tantôt acéré, tantôt indulgent s’inscrit dans la trame du roman ou en constitue la toile de fond, ou encore il fournit l’énergie brute qui propulse l’action. Il n’a jamais rien d’accidentel. Pour le biographe, un seul de ces regards ouvre milles perspectives. Bien qu’Austen ait mené une vie retirée, ses romans attestent qu’elle était partie prenante d’un monde aux vastes dimensions. » (p.13)

Rabats : Notice biobibliographique sur Carol Shields.

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : La couverture présente un « détail » du plus célèbre portrait de Jane Austen provenant d’une gravure du XIXe siècle.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : Sans la moindre ambiguïté, Shields est la narratrice de cet ouvrage. Sa position d’écrivain – et de narratrice - lui donne une certaine autorité qui se traduit par une grande aisance sur le plan stylistique.

Narrateur/personnage : Il s’agit d’une narration hétérodiégétique.

Biographe/biographé : Au chapitre premier, Shields défini ainsi son projet : « À la fin du XVIIIe siècle, la pensée prenait d’autres voies que de nos jours ; au lieu de plaquer sur la vie de Jane Austen des notions étrangères à son époque et d’en chercher une confirmation ou un [sic] infirmation dans son œuvre, je me suis efforcée dans cette courte biographie d’examiner ce que ces notions révélaient concernant mes propres résistances. » (p.23) C’est la seule fois où la subjectivité de la biographe est vraiment mise en scène ; par la suite elle s’efface derrière la figure de la biographée sans revenir sur cet aspect de son projet. Parlant de l’association Jane Austen Society, Shields précise que l’on « évite généralement d’y manier l’encensoir, et l’on se garde de banaliser les déclarations de l’auteur en la traitant comme une de nos contemporaines.» (p.9) Il semble que ce soit la ligne de conduite que s’impose Shields lors de la rédaction de la biographie, quoique la relation qui l’unit à Austen soit empreinte de respect et de sympathie. En fait, Shields est une « lectrice dévouée » (p.10) et une fine analyste de l’univers romanesque austennien et c’est à ce titre qu’elle se donne le « droit-privilège » d’en parler. C’est essentiellement sous cet angle, celui d’une lectrice, qu’elle aborde la biographie de l’écrivain, c’est-à-dire qu’elle touche au biographique dans la mesure où cela lui permet de parler des œuvres de Jane Austen et des nombreux personnages qui s’y rattachent. Ses remarques sur les œuvres relèvent ainsi plus du commentaire ou de l’analyse que de celui de la critique savante, voire de celui de la critique au sens premier du terme. Jane Austen n’est pas encensée, mais elle est bel et bien l’héroïne (ou plutôt le fil conducteur) de cette biographie où tous les autres « personnages », telle la sœur Cassandra, font piètre figure ou sont à tout le moins bien « pâlots » à côté de Jane, mais surtout de son œuvre. Donc, Jane Austen est l’héroïne incarnée et les personnages romanesques sont ceux qui gravitent autour de cette figure qui a eu le mérite – ou le génie - de les inventer. Le rapport « écrivain » vis-à-vis « écrivain » donne également lieu à une certaine connivence entre la biographe et la biographée, notamment en ce qui concerne les problèmes de la création romanesque et de la vie d’écrivain en général. Par exemple : « Impossible de ne pas entendre la colère qui gronde derrière cette lettre. Tout écrivain ayant subi le mépris d’un éditeur est en mesure de comprendre l’indignation de Jane Austen. » (p.175) * Voir aussi les exemples dans la section « Transposition ».

Autres relations : Puisque Shields se présente ici comme une lectrice dévouée - et non une biographe dévouée -, la relation qu’elle noue avec son narrataire/destinataire en est une de complicité. En fait, les deux peuvent être réunis sous le vocable « nous les lecteurs de Jane Austen », bien que, évidemment, Shields se pose en admiratrice devenue spécialiste de son matériau (la matière romanesque) par la force des choses, mais jamais en érudite, bien que parfois, on sente le souci didactique poindre chez elle : « Il n’existait pas, à la fin du XVIIIe siècle, de distinction encore très marquée entre les écrivains consacrés, les littérateurs et les auteurs de roman sentimentaux. » (p.38) Voici en vrac quelques occurrences sur l’idée d’une lecture de l’œuvre qui assure un pont entre l’auteur et les lecteurs de sa biographie : « La question de son apparence est digne d’intérêt, d’abord parce qu’elle satisfait notre curiosité de lecteur… » (p.18, je souligne) ; « En tant que lecteurs d’Orgueil et préjugé, n’avons-nous pas été injustes à l’égard de Mrs. Bennet ? » (p.30) ; « D’aucuns s’imaginent que les romans de Jane Austen sont denses et que leur intrigue piétine. C’est l’opposé qui est vrai, comme le savent ses lecteurs. » (p.77), etc.

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le synopsis de cette biographie est difficile à construire tant elle semble suivre les mouvements de la pensée de l’auteur qui, certes, coule, mais ne semble pas organisée selon une structure très rigide. La vie de Jane Austen (les faits saillants ou points tournants) offre une armature au texte, mais non pas comme dans une biographie traditionnelle. On peut toutefois dégager des thèmes pour chacun des chapitres. Le premier présente une introduction générale à la figure de l’écrivain Jane Austen et quelques commentaires sur le travail du biographe. Au bout de 9 pages cependant arrive le traditionnel « Jane Austen est née… » (p.23.) qui introduit de façon très expéditive l’enfance de la biographée. Le deuxième chapitre porte essentiellement sur les mères (la biographe tente de cerner la mère Austen par le biais des différents personnages de mère des romans austenniens). Le onzième chapitre porte sur la ville de Bath où la famille alla s’installer (et qui occupe beaucoup de place dans les romans d’Austen). Les chapitres 19, 20 et 22 portent respectivement sur les romans Mansfield Park, Emma et Persuasion. Le chapitre 22 se clôt sur la mort de l’écrivain, mais plus précisément sur l’inscription de sa pierre tombale qui ne fait pas mention de ses œuvres, et le dernier chapitre (23) porte sur le thème du corps dans l’œuvre de Austen. Comme on le voit, la chronologie de la vie de la biographée permet de poser les jalons de la réflexion de Shields sur l’œuvre romanesque d’Austen, mais aussi à l’occasion sur la création romanesque en général.

Ancrage référentiel : On pourrait conjecturer sur le fait que jamais le nom d’Angleterre n’est mentionné (comme si, de deux choses l’une ; soit Jane Austen est à ce point connu qu’il n’est nullement besoin de la resituer dans ce contexte, soit le lecteur de la biographie est à ce point familier avec la biographée qu’il est inutile de faire ce genre de présentation). Seuls les lieux où a vécu Jane Austen et/ou des membres de sa famille sont évoqués : notamment Steventon, Bath et Chawton . Quelques rares dates ponctuent l’ouvrage, mais les repères temporels reposent avant tout sur les temps de l’écriture des diverses œuvres d’Austen : œuvres de jeunesse, ces deux premiers romans de jeune adulte, le silence de sept années que la biographe tente de comprendre et la rédaction des trois œuvres « adultes » d’Austen.

Indices de fiction : Cette biographie relève davantage du registre de l’essai que de celui de la fiction ; il n’y a donc pas d’indices de fiction au sens propre du terme.

Rapports vie-œuvre : Il est très marqué, mais seulement au sens où l’œuvre prime sur la vie. En fait, la vie devient comme une sorte de commentaire ou de prétexte pour parler de l’œuvre. Non seulement raconte-t-on le contexte de rédaction des œuvres, mais celles-ci se trouvent constamment convoquées pour produire ou étayer des hypothèses ou vice-versa. Cela donne parfois lieu à de drôles de commentaires : « L’œuvre de Jane Austen ne déborde pas d’amour pour les enfants, ce dont il ne faut pas s’étonner puisqu’elle avait souvent sur les bras ses nombreux neveux et nièces. » (p.150) Il est par ailleurs notable que la vie de Jane Austen, confinée que cette dernière était à un univers restreint de par, entre autres, son statut de fille de pasteur et celui de vieille fille, offre peu de matériaux qui prêtent à une « romantisation » de cette vie. De plus, il existe de nombreuses biographies de l’auteur, mais peu de documents de première main, parce qu’une bonne partie de la correspondance de Jane a été brûlée par sa sœur Cassandra.

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Par le biais de la figure d’Austen, l’écriture est fortement thématisée. Par le biais de la narratrice, c’est la lecture qui est fortement thématisée au sens où cette biographie est faite par une « lectrice » d’Austen qui se réclame comme telle et parce qu’elle s’adresse aux « lecteurs » d’Austen.

Thématisation de la biographie : La thématisation du travail biographique tel que le conçoit Shields se trouve mise en scène dans le chapitre un. Plutôt que de résumer ou de commenter, je retranscris ici le passage traitant de la biographie : « Le majordome littéraire qu’est le biographe doit donc se résigner soit à utiliser le peu satisfaisant “Jane”, soit à répéter le nom au complet, soit à s’en remettre à de traîtres et maladroits pronoms. Un autre problème attend le biographe de Jane Austen : la tentation d’écrire comme elle. La cadence de ses phrases est facilement contagieuse, tout comme l’est sa voix distanciée et impersonnelle. L’attitude de détachement qu’elle affecte, les ambiguïtés qu’elle laisse planer, entrent par ailleurs en conflit avec ce que nous associons à un solide esprit critique. Sa voix calme, pondérée et discrète repousse l’analyse et invite l’analyste à disparaître afin que le roman puisse commencer. La biographie rompt l’enchantement de l’écriture en drapant de théorie un texte – terme si clair, et combien pratique – qui n’avait de relation immédiate avec aucune théorie littéraire. Car voici ce qui compte le plus en définitive : les romans eux-mêmes et non le quotidien de leur auteur, le thé qu’elle prenait avec ses voisines, les scones qu’elle achetait à la boulangerie. Même ses lettres les plus révélatrices doivent être classées à part des œuvres de fiction. Comme l’écrit le romancier George Gissing :“Les seules bonnes biographies sont à chercher dans les romans.” Il fait ici allusion à l’itinéraire complexe d’un être, itinéraire susceptible de trouver une forme plus achevée et plus authentique dans le roman que dans la biographie. Celle-ci est sujette aux distorsions et aux omissions, aux excès d’admiration ou de sévérité, tandis que la fiction respecte la trajectoire humaine. » (p.21-22)

De plus, on retrouve, comme en aparté, des remarques sur le travail du biographe en général. Par exemple :

« Quelques témoignages, quelques “instantanés” qui sont parvenus jusqu’à nous, ont portés à croire qu’elle était hypocondriaque et irritable à la fin de sa vie – lorsque les sources d’information sont maigres, c’est sur de telles bases (combien fragiles) que le biographe interprète les événements, restitue les vies et les personnalités. » (p.29) – Ou, encore, sur les autres biographes d’Austen. Par exemple : « Nombre de biographies ont fait fausse route dans l’interprétation de sa personnalité à cause de son sens de l’ironie, mais sur deux ou trois points tout le monde s’entend : elle aimait la nature et y puisait force et énergie. » (p.115) Shields fait également une remarque sur la « biographie littéraire » : « Ce que l’on sait de la vie d’un écrivain ne permet jamais d’expliquer le génie de ses œuvres : la biographie littéraire cherche pourtant à les éclairer ; son but n’est pas de les passer au peigne fin pour dresser un portrait de leur auteur. Les deux “comptes rendus” que constituent la vie et l’œuvre ne peuvent de toute façon qu’imparfaitement coïncider, et ils entrent parfois même en complète contradiction. » (p.221)

Topoï : Les relations parents-enfants, la recherche d’un chez-soi, le statut social des femmes non-mariées, la venue et la pratique de l’écriture, etc. Les personnages de Jane Austen, mais plus particulièrement ceux de Pride and Prejudice, Mansfield Park et Emma.

Hybridation : Entre biographie et essai-commentaire

Transposition : - Du discours sur la biographie à un discours sur la création romanesque, qui renvoie au rapport écrivain/écrivain qui unit Shields et Austen : « … elle prit le parti du bon sens et sut éviter les exagérations qui sont de nature à saper le projet romanesque. » (p.45) / « Une plaisanterie de romancier veut que, pour déclencher l’action ou relancer une histoire qui s’essouffle, il suffit d’écrire : “Survint alors parmi eux un étranger.” » (p.69) / « Tout écrivain part de sa propre expérience ; comment expliquer autrement la myriade de détails qui émaillent un roman […] ? Mais les romanciers ne choisissent pas tous de s’inspirer directement de leur histoire personnelle, et il faut convenir que Jane Austen ne donne pas volontiers dans la veine autobiographique. » (p.95) / « Les romanciers ne sont pas des créatures détachées du monde, ils ont besoin qu’un lectorat plus large que leur cercle familial réagisse à leur œuvre ; ils ont besoin également de la reconnaissance qu’apporte une publication professionnelle. » (p.143) / « Une production romanesque soutenue requiert, entre autres conditions indispensables, le maintien d’un délicat équilibre entre solitude et interaction. » (p.155). Voir aussi p.199, 200, - (Transposition de l’œuvre) Clin d’œil à une des phrases les plus célèbres de Jane Austen : « It is truth universally acknowledged, that a single man in possession of a large fortune must be in want for a wife. » (Phrase liminale de Pride and Prejudice). Devient avec la traduction : « Il est universellement reconnu qu’un auteur publié ou sur le point de l’être se sent soudain rempli d’une confiance sans bornes en son talent. » (p.185, souligné dans le texte)

Autres remarques : Fait peut-être à noter : mises à part de rares exceptions, il n’y a pas de reproduction d’extraits de romans ou de lettres et les autres discours critiques sont très peu convoqués. Il n’y a pas de bibliographie, mais il y a une annexe à la fin de l’ouvrage qui s’intitule « Quelques mots au sujet des sources » qui recense et commente très brièvement les sources retenues qui sont autant des ouvrages critiques que des biographies d’Austen. Elle mentionne également deux « biographies littéraires » : Jane Austen, a life (1997) par Claire Tomalin (en français Jane Austen, passions discrètes) et David Nokes, Jane Austen (1997).

LA LECTURE

Pacte de lecture : Le pacte de lecture, claire sans être explicite (d’une lectrice aux lecteurs), m’apparaît intéressant dans la mesure où cela me semble le signe d’une pratique plutôt nouvelle de la biographie. Je crois toutefois que la plupart des biographies de cette collection répondent à ce principe bien que chaque « Grande Signature » ait une large marge de manœuvre pour biographer la « Grande Figure ».

Attitude de lecture : Comme je suis une lectrice passionnée de Jane Austen, cette lecture m’a procuré un grand plaisir intellectuel, bien que les analyses ne soient pas nécessairement très approfondies.

Lecteur/lectrice : Manon Auger