Réflexion à partir des recherches menées (hiver, été, automne 2009)
- Repérage d’événements littéraires français qui ont balisé le contemporain, sous forme de comptes rendus de lecture et d’un tableau général.
- En parallèle, établir des listes plus substantielles des différents types d’événements littéraires (revues, prix littéraires, maisons d’édition, collections…), pour expliciter le tableau général.
→ Travail complété (figure déjà sur le wiki) ; il restera à ajouter les informations du repérage sur les maisons d’édition dans le tableau général des événements littéraires.
- Parmi ces événements, accorder davantage d’intérêt au contexte socio-éditorial en repérant les maisons d’édition et les collections contemporaines françaises, leur argumentaire respectif, les écrivains ou les titres qui se sont imposés et les esthétiques qui caractérisent la production.
→ Repérage en voie d’être complété ; la publication récente de l’ouvrage d’Olivier Bessard-Banquy sur l’édition française (La vie du livre contemporain : étude sur l'édition littéraire, 1975-2005, PU Bordeaux / Du Lérot, 2009), dont la lecture est presque achevée, a permis de combler les lacunes d’une recherche qui, faute de sources, demeurait fragmentaire.
a) Parmi les événements littéraires relevés, il est rare qu’on souligne que tel événement joue quelque rôle dans l’avènement ou la trajectoire du contemporain, à l’exception de la fin de Tel Quel (j’y reviendrai). Si on publie de plus en plus d’ouvrages sur le contemporain, même du côté français, il faut noter l’absence d’ouvrages d’histoire littéraire – du moins d’ouvrages détaillés et étoffés, à l’exception, entre autres, de celui de Bessard-Banquy sur l’édition française. L’attention se porte surtout sur le genre narratif, ainsi qu’il est précisé dans la problématique du projet. Peu de textes, donc, sont consacrés au repérage d’événements balisant le contemporain ; s’ils s’y aventurent, ils échouent généralement à expliquer l’importance ou la signification de l’événement dans le contexte du contemporain, que ce soit par manque de clarté, par une abstention pure et simple ou par la difficulté de situer les événements du contemporain sur une ligne temporelle selon des liens de cause à effet. De sorte que, au final, il m’a été difficile de déterminer quels événements retenir parmi ceux mentionnés et, corollairement, quelle importance leur accorder.
→ Ces observations interrogent le premier axe historique du programme de recherche, qui vise à étudier « les modalités de la construction du ‘‘contemporain’’ en France [et au Québec] depuis 1980 [1968 en l’occurrence] ». Que penser de l’absence d’intérêt pour les questions d’histoire littéraire, et du manque de précision lorsque ces questions sont abordées ? Est-ce à dire que le contemporain se construirait moins dans le temps que dans la pratique narrative ? Ce serait étonnant mais, en dépit des lacunes et des faiblesses qu’on y rencontre également, l’étude de la pratique narrative serait peut-être plus facile à saisir que les circonstances et les conséquences de telle création de revue ou de maison d’édition dans la trajectoire du contemporain. Le problème du manque de recul par rapport à l’objet d’étude s’impose peut-être davantage, trop collé sur les événements pour en cerner les implications à moyen terme. Chose certaine, cette absence est à interroger (de façon beaucoup plus pointue que les questions rapidement soulevées ici).
b) Le premier axe du programme de recherche entend s’attacher à « la saisie, la construction et la reconnaissance de la notion de contemporain ». À cet effet, on peut se demander quels événements littéraires dessineraient plus nettement les contours de la notion de contemporain, ou quels événements seraient susceptibles d’en livrer une certaine définition. En fait, le choix de repérer la création et la disparition de collections ou de prix littéraires (entre autres) suggère d’emblée que l’on présume que le contemporain se laisserait saisir par de tels événements, que ceux-ci définiraient celui-là. Mais encore ? Cela exigerait une étude plus approfondie, mais on peut déjà tirer quelques faits à partir des événements relevés, notamment par rapport à l’idée de diversité utilisée pour caractériser la production contemporaine :
→ On remarque la multiplication des prix littéraires, des maisons d’édition, des collections, des revues (Viart et Vercier en font d’ailleurs l’objet de l’introduction de La littérature au présent [fiche sur wiki]), signe d’une vitalité et d’une diversité des pratiques littéraires. Cela dit, il faudrait voir si le contexte (économique, littéraire, éditorial…) ne permet pas une effervescence qui n’était pas nécessairement possible auparavant ; autrement dit, si cette effervescence caractérise la production contemporaine, c’est peut-être avant tout parce qu’elle est favorisée par le contexte.
→ La multiplication des maisons d’édition et des collections s’explique (selon Bessard-Banquy) par la volonté d’investir des créneaux spécifiques – en fait, leur survie en dépend bien souvent. Si elles favorisent ainsi l’impression de diversité qui caractériserait la littérature contemporaine, il faut comprendre qu’elles agissent surtout en réaction aux maisons d’édition généralistes. On peut penser que le sentiment de diversité de la pratique littéraire actuelle est accentuée par la prolifération des lieux de publication.
→ La fin de Tel Quel et, corollairement, le passage de Sollers chez Gallimard, sont présentés, chez la plupart des critiques, comme les événements de rupture entre la période d’avant-garde et le contemporain (avec d’autres événements en périphérie). Ce sont assurément les événements les plus documentés, dont les traces sont les plus visibles au fil des années ; ils laisseraient voir un infléchissement vers une littérature du spectacle, pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Salgas (2002 – sur le wiki) et reprise par d’autres sous différentes formes. Bref, ce serait ces événements qui amorceraient la période contemporaine, qui canaliseraient toutes les définitions qu’on pourrait tirer de celle-ci.
c) Le projet de recherche associe le contemporain à la fin des avant-gardes, s’interrogeant à ce titre sur la « mort possible d’un certain ‘‘ordre du discours’’ ». S’il s’agit là du discours commun sur la littérature contemporaine, les événements littéraires permettent de nuancer une telle posture. Parler de la « fin des avant-gardes » est audacieux ; il faudrait plutôt parler d’une situation affaiblie, notamment par la masse et la diversité de la production contemporaine qui n’assurent plus aux avant-gardes une présence au premier plan. On voit que des revues d’avant-garde survivent au-delà de 1980, tandis que d’autres sont créées. Mais peut-être ne s’agit-il pas du même type d’avant-garde ; j’avoue ne pas pouvoir me prononcer à ce propos. Je m’interroge cela dit sur le lien entre la « fin » des avant-gardes et la diversité qui se dessine à partir de 1980 : est-ce en réaction à la radicalité hégémonique des avant-gardes que la diversité s’est imposée ? Est-ce une relation de cause à effet ? Je ne le crois pas, d’une part parce que l’avant-garde compose une part de la diversité contemporaine ; d’autre part parce que, comme je l’ai mentionné, le contexte semble en grande partie responsable de la multiplication des pratiques littéraires.
d) L’état du travail sur les maisons d’édition et les collections ne me permet pas d’élaborer, mais il m’apparaît déjà que les orientations auxquelles s’intéressent les chercheurs de l’équipe (fictionnalisation du réel, déconstruction de l’autorité narrative, éclatement du cadre de l’œuvre et minimalisme narratif) se retrouvent représentées par certaines collections, voire par certaines revues spécifiques. J’ai été étonnée, même, que l’argumentaire de certaines collections reprenne le vocabulaire des critiques, précisant se consacrer à l’autofiction ou à la biographie imaginaire (il me semble, du moins, que ce sont les critiques qui ont imposé ces termes, à moins que je me trompe). Je me demande, en fait, ce qui vient en premier : la collection ou l’argumentaire ? Est-ce que telle collection est créée et se laisse ensuite définir par la critique ?