Viviane Asselin (pour René Audet)
Depuis le début des recherches, j’ai travaillé sur trois projets directement ou indirectement liés à l’entreprise d’ensemble de l’équipe. J’en présente ici les objectifs et les résultats.
Le paradoxe est le suivant : en dépit de l’hétérogénéité de la production romanesque québécoise qui justifie la rareté des études au dire de ceux qui évitent l’effort ou qui l’osent sous toutes réserves , les exercices de catégorisation apparaissent redondants d’un ouvrage à l’autre. On n’utilise pas nécessairement les mêmes expressions pour désigner une forme nouvelle ou modulée – quoique la chose soit fréquente – mais, dans l’ensemble, on ne relève pas moins les mêmes pratiques (minimalisme, nouveau baroque, littérature intime, récits discontinus…) et les mêmes thèmes (l’identité individuelle, laquelle passe par une réflexion sur la sexualité, la condition féminine, l’enfance, l’écriture…). À cela, deux hypothèses : ou bien le corpus n’est pas aussi disparate qu’on le laisse entendre, ou bien les travaux échouent à rendre compte avec exactitude de la situation littéraire actuelle. Dans un cas comme dans l’autre, il y a matière à renouveler un discours qui manque de rigueur. Comme portrait d’ensemble, la contribution la plus substantielle demeure celle de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge (2007), lesquels identifient six phénomènes narratifs majeurs : les best-sellers ou « nouvelle fiction québécoise », l’écriture migrante, le roman en mode mineur ou « minimaliste », les romans baroques ou hyperréalistes, la fiction intimiste ou « nouvelle subjectivité » et les fictions de soi.
Les efforts terminologiques pour caractériser la production actuelle laissent voir un certain laisser-aller de la critique qui, tantôt reprend les expressions inventées par les chercheurs français (« récit de filiation », « autofiction », « minimalisme »…) sans préciser si les pratiques québécoises témoignent des mêmes enjeux (on peut en douter), tantôt utilise des étiquettes antérieures auxquelles elle ajoute l’adjectif « contemporain » pour en marquer la différence ou la nouveauté (« roman familial contemporain », par exemple). Rares sont donc les chercheurs qui proposent leur propre exercice terminologique à partir, surtout, d’un corpus exclusivement québécois – sinon peut-être Jacques Allard (1997) qui, par « roman mauve », désigne toute œuvre méditative et intimiste. Cette posture de la critique suggère au moins trois choses : ou bien la littérature contemporaine ne fait que prolonger ce qui précède, modulant tout au plus certaines pratiques (on parle d’ailleurs plus volontiers de stratégies modulées que radicalement nouvelles) ; ou bien elle s’inscrit en harmonie avec le corpus français ; ou encore le discours critique manque d’outils (ou de volonté) pour décrire autrement la situation.
Là encore, l’ensemble de la critique laisse deviner, parmi la soi-disant hétérogénéité de la production contemporaine, un bon nombre de caractéristiques communes, et ce, corpus québécois et français confondus. Pour l’un et l’autre, il est question, de façon générale, d’hybridation générique, de récit fragmenté, de multiplication des trames et/ou des voix narratives et/ou des points de vue, d’action ténue ou absente, d’intertextualité et d’autoréflexivité, et de fiction aux frontières floues et/ou poreuses. Les réactions sont toutefois diverses, l’un déplorant l’absence d’expérimentation textuelle, l’autre y voyant un risque de désordre inutile ; l’un apprécie la banalité de l’intrigue, l’autre s’ennuie. Il est certain qu’un examen plus minutieux serait nécessaire pour mieux saisir les différentes nuances. C’est d’ailleurs à partir de ces lectures critiques que les possibles écarts entre le minimalisme québécois et le minimalisme français, par exemple, pourraient être relevés.
Pour ce projet dont les réflexions se développeront au cours du séminaire, le travail s’est réduit, d’une part, à l’élaboration d’un panorama des mouvements romanesques français et québécois au XXe siècle et, d’autre part, à l’identification des principaux enjeux d’une recherche comparatiste (éléments de définition, contraintes, exigences, difficultés). Enfin, nous disposons d’une bibliographie (non exhaustive) d’études comparatistes.