Viviane Asselin (pour René Audet) Rapport du travail accompli pour le projet FQRSC-équipe
Ma tâche, qui se poursuivra à l’hiver puisque le dépouillement n’est pas terminé, consiste globalement à repérer les tendances du corpus narratif québécois depuis 1990. Il s’agit d’un travail de déblayage, aussi bien du côté de la réception immédiate que dans le discours scientifique, de façon à relever les tendances romanesques identifiées par les critiques ou les chercheurs. Il me faut, à partir de ces traces, élaborer une synthèse de l’état du discours immédiat sur la pratique narrative au Québec, comme cela se fait de façon plus systématique en France. Il n’est d’ailleurs pas exclu que je sois éventuellement amenée à comparer ces deux littératures nationales. En somme, mon travail est d’observer le propos des critiques sur les œuvres narratives, en portant une attention particulière sur les « courants », les mouvements, les pratiques communes qui semblent se dessiner aujourd’hui.
À ce titre, le début de repérage laisse déjà voir quelques constantes. Il est d’abord à noter que tous les auteurs, sans exception, soulignent d’emblée la pluralité et l’hétérogénéité des pratiques actuelles, ce qui rend difficile tout exercice de regroupement. Ce regroupement, cela dit, s’effectue davantage sur la base d’esthétiques communes que sur celle de communautés d’écrivains, comme cela a pu être pratiqué par le passé. C’est-à-dire que les écrivains ne s’inscrivent pas (plus) dans un ensemble défini et invariablement solidaire – à l’exception, peut-être, des littératures migrantes et féminines (encore que le pluriel laisse clairement entendre la diversité au sein de ces productions) – ; ils explorent plutôt une esthétique différente d’une œuvre à l’autre. Parmi ces esthétiques, il faut compter les « autofictions », également désignées comme des « récits / fictions de soi » et qui signalent un « retour du sujet » que l’on pourrait qualifier d’exhibitionniste, d’impudique ; le « roman en mode mineur » ou le « minimalisme » qui, en témoignant d’une sobriété et d’une ironie dans l’écriture, n’est pas à confondre avec le minimalisme français, lequel s’attache plus volontiers au monde contemporain ; le « roman baroque » ou l’ « hyperréalisme », qui multiplie les jeux textuels et favorise toutes les formes de brouillage (générique, fabulation / réalité…) ; la « fiction intimiste », qui se distingue des récits de soi par l’expression d’une nouvelle subjectivité pudique qui emprunte au poétique, au lyrisme. Les écritures migrantes et féminines représentent également des phénomènes sinon des tendances contemporain(e)s ; elles tendent à dessiner de nouvelles esthétiques tournées vers des préoccupations thématiques particulières, dont l’identité – quoiqu’il s’agisse là d’un thème récurrent dans l’ensemble de la production romanesque. Certains font encore état d’une « littérature du témoignage », dont les formes sont multiples : récit de soi issu de la psychanalyse, reportage journalistique, témoignage de guerre, de sida…La difficulté, pour le moment, tient surtout de la diversité des appellations et des sous-catégories pour témoigner d’une même pratique ; la comparaison et la synthèse seront plus faciles et plus justes lorsque j’aurai une plus grande vue d’ensemble de la production romanesque actuelle.
Voilà, pour l’heure et en résumé, l’état présent de recherches qui demandent à être poursuivies. Le repérage a essentiellement été effectué dans des ouvrages scientifiques ou des panoramas, dont le dépouillement n’est toutefois pas terminé. Il me faudra également aller explorer du côté de la réception critique immédiate ; j’entends me concentrer plus particulièrement sur des journaux comme Le Devoir et La Presse et des périodiques comme Lettres québécoises et Voix et images.
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