FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Andrée Ferretti Titre : Renaissance en Paganie Lieu : Montréal Édition : L’Hexagone Collection : « Fictions » Année : 1987 Pages : 81 Désignation générique: Récit
Bibliographie de l'auteur : Ferretti s’est surtout fait connaître par ses articles de journaux et ses études parues dans des revues et des ouvrages collectifs. Biographé : Hubert Aquin et Hypatie d’Alexandrie
Quatrième de couverture :.Synopsis et présentation de l’auteur Préface : Sans
Rabats: Sans
Autres : –
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : Le narrateur est Hubert Aquin.
Narrateur/personnage : Le narrateur entreprend à la fois son autobiographie et la biographie d’Hypathie d’Alexandrie, philosophe et mathématicienne, assassinée par l’Église pour lui avoir tenu tête. La narration se fait omnisciente. Aquin a accès à l’intériorité du personnage. On a donc affaire à un récit de type intradiégétique, parfois homodiégétique (lorsque Aquin raconte sa propre vie), parfois hétérodiégétique (lorsque Aquin parle d’Hypathie).
Un troisième personnage occupe une place considérable dans ce récit. Il s’agit d’Élaine, l’auteur d’un livre à venir – Renaissance en Paganie – sur Hypathie et Aquin : « Consciencieuse, Élaine a donc demandé à un égyptologue, spécialiste du Bas-Empire, de lui accorder une journée d’entretien. Il vient d’arriver et prend place à la table de la salle à manger. C’est ici qu’Élaine travaille depuis maintenant une semaine. Elle y a rassemblé sa nombreuse documentation nous concernant, Hypathie et moi, qui dès lors partageons toutes les heures du jour et de la nuit » (p. 53).
Biographe/biographé : Comme c’est Hubert Aquin qui nous intéresse ici, il faudrait plutôt parler du point de vue de l’autobiographe et poser cette question : comment l’autobiographe se présente-t-il au lecteur ? Renaissance en Paganie met en scène un Hubert Aquin assimilable aux différents narrateurs de son œuvre. D’ailleurs, le récit est saturé de clin d’œil à Prochain épisode, Trou de mémoire (voir le titre de la première partie : «Voix en trompe-néant ») , L’antiphonaire et Point de fuite. Le Hubert Aquin représenté ici est déjà mort. Comme c’était le cas dans Mémoire de mon crâne, biographie ou thanatographie que Philippe Comar consacre à Descartes, c’est le cogito de l’écrivain qui se donne à lire ; c’est une pensée qui a fait œuvre et qui revient sur elle-même, pour réfléchir sur le parcours d’une vie engagée, sur la condition humaine, sur l’aliénation du peuple québécois.
On sent bien derrière le propos du narrateur écrivain l’admiration d’Andrée Ferretti pour Aquin et Hypathie, qualifiés dans le récit de « rebelles exemplaires » (p. 15). Le fait que Ferretti donne la parole à Hubert Aquin marque bien la profonde affection qu’elle lui voue. Voir la seule incursion dans le récit que fait Élaine Rivière, homologue fictif de Ferretti : « J’admets que je me tiens à l’écoute difficile de leurs voix, par nécessité, par besoin et désir de me rappeler à tout instant que si je veux mourir en vie, je dois vivre à en mourir car, me répètent-t-elles inlassablement, sauf à la mettre sans cesse en jeu, la vie se remplit de minuties et de soumissions qui l’étouffent à sa source et à notre insu » (p. 82).
Autres relations : La relation qui unit Aquin à Hypathie est aussi marquée par l’admiration : « Morts nous sommes, foudroyés néanmoins par un même éblouissement. Il sied à nos personnalités, vous l’avez déjà deviné, qu’il en arrive ainsi. Pour des raisons évidentes, elle n’a pu connaître mon existence. Que j’aie ignoré la sienne est plus étrange, voire inexplicable, vu mon savoir intime du Bas-Empire et mon intérêt jamais démenti pour les personnages de sa trempe […] Emporté par la plus vive émotion, d’un bond je me dresse dans mon attitude la plus noble et lui déclare, dans les formes gracieuses de la politesse antique, mon bonheur immense, commensurable à mon désir de la connaître, de pouvoir me présenter à elle » (p. 14-16).
L'ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : Voir 4e de couverture : « Début du Ve siècle : le monde moderne s’édifie avec le triomphe du christianisme sur la paganisme. Une philosophe et mathématicienne, Hypathie d’Alexandrie, s’oppose à l’absolutisme du nouveau pouvoir. L’Église la fait assassiner.
Fin du XXe siècle : le monde moderne se meurt, plongé dans la torpeur, écrasé par un totalitarisme qui a atteint les limites au delà desquelles la vie devient impossible. Un écrivain, Hubert Aquin, se suicide, ultime posture devant l’imposture, l’indifférence, la néantisation de l’être. Renaissance en Paganie, confronte ces deux destins tragiques apparemment sans lien mais qu’unit une même rébellion contre toutes les formes de sujétion ».
Ancrage référentiel : Fort ancrage référentiel, que ce soit à travers l’évocation de lieux réels (Musée de la Cité Royale, Bibliothèque nationale du Québec, Mont Tremblant, Bourse de Montréal, etc.), d’événements historiques (le triomphe d’Alberto Ascari au Grand Prix d’Italie, meurtre d’Hypathie le 20 mai 415, suicide de Hubert Aquin le 15 mars 1977), de personnalités ayant réellement existé (Galilée, Newton, Einstein) ou encore par l’évocation de l’œuvre de Aquin (Prochain épisode, etc.).
Indices de fiction : Très nombreux, à commencer par la désignation générique de récit et par la présence d’un narrateur décédé dénommé Hubert Aquin. Ce récit reprend les procédés du roman, tant en ce qui a trait à la trame événementielle (analepses, découpage aléatoire du récit en chapitre, etc.) qu’en ce qui concerne le contenu (notamment la rencontre de personnages que séparent près de 600 ans d’histoire).
Rapports vie-oeuvre : Ils sont très marqués et ceci de façon originale. Ces rapports s’articulent, comme c’est normalement le cas dans la biographie d’écrivain, à travers l’évocation des conditions d’écriture (la genèse de l’œuvre) (voir p. 73-74 où il est question des actions menées avec le FLQ, de l’emprisonnement et de la rédaction de Prochain épisode). Mais ils s’articulent aussi à même l’énonciation. C’est-à-dire qu’à travers la mise en scène du personnage Hubert Aquin, à travers le récit qu’il livre de sa propre personne, c’est cette pensée qui a fait œuvre qui se donne à lire. Le choix des mots et des expressions («tentation hallucinatoire », p. 12 ; « en pulsations rapides et intenses », p.14 ; etc.), la syntaxe essoufflée, le ton désespéré que l’on retrouve entre autres chez les narrateurs de Prochain épisode et de Trou de mémoire, tout cela crée l’amalgame entre l’individu Aquin et son œuvre, comme si Aquin et son œuvre étaient une seule et même chose, une seule et même pensée. Il faudrait étudier, du point de vue de l’énonciation, les autres biographies fictives d’écrivain où il est question de donner la parole à l’écrivain. Dans Le testament d’Oscar Wilde de Peter Ackroyd, par exemple, le personnage de Wilde se présente sous des traits qui font penser au Portrait de Dorian Gray. Et la narration est toute empreinte de cette œuvre de Wilde. Dans ce cas comme dans celui de Renaissance en Paganie, il n’y a aucune différence entre le « moi social » et le « moi écrivain », le « moi profond ». « Je » n’est plus cet autre dont l’écrivain accouche par l’écriture, mais l’écrivain lui-même.
Thématisation de l'écriture et de la lecture : Marqué. Aquin fait quelques allusions explicites à son œuvre (p. 49), mais c’est surtout à travers son discours, par des subtilités, des clins d’œil implicites, que son œuvre est évoquée. Les thèmes de l’écriture et de la lecture se rattachent surtout au personnage d’Élaine, qui relit l’œuvre de Aquin et qui parcourt la documentation concernant Hypathie, en vue de son livre sur ces deux figures exemplaires de la rébellion.
Thématisation de la biographie : C’est de manière fort originale que le thème de la biographie est ici exploité. Aquin parle très souvent du livre qu’est en train d’écrire Élaine Rivière à son sujet. Selon lui, celle-ci voit juste, contrairement à bon nombre de biographes qui se contentent de la plate surface des choses : « Se peut-il qu’enfant déjà j’aie soupçonné, et voulu conjurer par l’invention littéraire, la pénible inadéquation entre ma lucidité et ma force qui allait être la tragédie de ma vie, telle qu’Élaine la décrivait ce matin à la vingtième page de son cahier, dans une brève synthèse où la clarté du sens remplace heureusement les milles et une anecdotes qu’elle a dû entendre, et oublier, pour en arriver à une si juste perception ? » (p. 49).
Au sujet des biographes de Hypathie, Aquin déplore l’absence de renseignements permettant de connaître qui était véritablement Hypathie d’Alexandrie : « À croire qu’ils [les historiens] se copient sans vergogne les uns les autres, de siècle en siècle. Pauvres renseignements qui rendent difficile la recomposition d’une vie autrement muette et si lointaine, qui demande autant d’imagination que de science, mais exige que l’une ne s’éloigne pas trop de l’autre » (p. 53).
Topoï : Révolte, échec, écriture, philosophie, amour, science, etc.
Transposition : - Transposition d’une expérience vécue dans les termes de l’œuvre de Aquin - Transposition de l’œuvre de Aquin - Transposition des clichés de la biographie (la naissance de Hypathie, le récit de ses amours, etc.). - Transposition des codes propres à plusieurs genres littéraires (autobiographie, roman, etc.).
LA LECTURE
Pacte de lecture : Se donne à lire comme à la fois comme un récit fictif et comme une biographie. Les passages sur Hypathie sont vraisemblables et suscitent la crédulité du lecteur.
Autres remarques : Remarquablement bien écrit. C’est un récit magnifique.
Lectrice : Marina Girardin