FICHE THÉORIQUE PROBLÉMATIQUE VIE/ŒUVRE
« Nous allons essayer de nous déniaiser. La théorie de la littérature est un apprentissage du déniaisement. » (22 : 1998)
Auteur : COMPAGNON, Antoine
Titre : Le démon de la théorie : littérature et sens commun
Lieu : Paris
Édition : Seuil
Collection : La couleur des idées
Année : 1998
Pages : 306 (surtout 47-99 (« 2- L’auteur »))
L’AUTEUR − L’INTENTION « Le point le plus controversé dans les études littéraires, c’est la place qui revient à l’auteur. » (1998 : 49)
Compagnon se refuse d’aborder la notion d’auteur autrement qu’à travers celle de l’intention. Il ne veut rien entendre de l’auteur biographique, mais il tente tout le long du chapitre de montrer qu’il y a un auteur (avec des intentions déduites sur la base d’une cohérence globale du texte) et pas seulement un texte. Bref, quand on parle d’intention, c’est au rôle de l’auteur qu’on s’intéresse, au rapport entre le texte et son auteur, à la responsabilité de l’auteur sur le sens de son texte, sa signification (1998 : 49), et j’ajouterais sa cohérence interne, puisqu’il en parle plus loin.
« Ainsi, la question du rapport entre le texte et son auteur ne se réduit nullement à celle de la biographie, de son rôle sans doute excessif dans l’histoire littéraire traditionnelle (“l’homme et l’œuvre”), de son procès par la nouvelle critique (le Texte). La thèse de la mort de l’auteur, comme fonction historique et idéologique, masque un problème plus ardu et essentiel : celui de l’intention d’auteur, où l’intention importe bien davantage que l’auteur, comme critère de l’interprétation littéraire. On peut éliminer l’auteur biographique de sa conception de la littérature, sans du tout remettre en cause le préjugé ordinaire, pas nécessairement faux pourtant, faisant de l’intention le présupposé immanquable de toute interprétation. » (1998 : 67-68)
« [E]n affirmant l’indifférence de l’auteur pour la signification du texte, [la théorie formaliste] n’a-t-elle pas poussé la logique un peu loin et sacrifié la raison au plaisir d’une belle antithèse [dont le « Pierre Ménard » serait l’illustration exemplaire] ? Et surtout, ne s’est-elle pas trompé de cible ? En effet, interpréter un texte, n’est-ce pas toujours faire des conjectures sur une intention humaine en acte ? » (51 : 1998)
SUR LE SENS ORIGINEL D’UNE ŒUVRE ET SON PARCOURS HERMÉNEUTIQUE DANS L’HISTOIRE :
« [L]a distinction du sens [originel] et de la signification [actuelle] […] a […] l’avantage de rappeler que personne (ou presque) ne nie l’existence d’un sens originel, aussi difficile soit-il de le connaître, et de montrer que l’argument du devenir de l’œuvre [l’œuvre a sa vie propre et plusieurs lecteurs/lectures successifs ( à l’argument selon lequel l’intention d’auteur n’a rien à voir dans le sens d’une œuvre)] n’élimine pas l’intention d’auteur comme critère de l’interprétation, puisqu’il ne concerne pas le sens « originel » mais bien la signification, ou l’application, l’évaluation… » (93 : 1998) « L’appel au texte contre l’intention d’auteur […] revient en fait le plus souvent à invoquer un critère de cohérence et de complexité immanentes que seule l’hypothèse d’une intention justifie. » (97 : 1998) Compagnon, après un défilé soutenu d’arguments serrés sur les divers manières à travers l’histoire qu’a été prise l’intention, justifie la pertinence de la notion d’intention d’auteur aujourd’hui avec l’exemple des passages parallèles… LES PASSAGES PARALLÈLES, PARALLÉLISMES VERBAUX : − qui, je le rappelle si c’est nécessaire, consistent à éclairer le sens obscur d’un mot par le même mot du même auteur, ailleurs dans le même texte ou dans un autre texte, ou d’un autre auteur − à peu près obligatoirement contemporain ; − prouvent que l’intention de l’auteur est effective dans la compréhension d’une œuvre, puisque de toute façon on se réfère à d’autres passages pour éclairer un autre passage… « [I]mplicitement, la méthode des passages parallèles fait donc appel à l’intention d’auteur, sinon comme dessein, préméditation ou intention préalable, du moins comme structure, système et intention en acte. En effet, si l’intention d’auteur est jugée non pertinente pour décider du sens du texte, on ne voit pas bien comment rendre compte de cette préférence générale pour un texte du même auteur. » (74-75 : 1998) Et même les critiques les plus réservés devant l’intention d’auteur, poursuit Compagnon, font appel à la méthode des passages parallèles… Donc : l’auteur comme horse’s mouth, droit à la source, straight from the horse’s mouth. « La méthode des passages parallèles présuppose non seulement la pertinence de l’intention d’auteur pour l’interprétation des textes (on préfère un passage parallèle de l’auteur à un passage parallèle d’un autre auteur), mais aussi la cohérence de l’intention d’auteur. » (77-78 : 1998) « Aucun critique, semble-t-il, ne renonce à la méthode des passages parallèles, laquelle inclut la préférence, pour éclairer un passage obscur, d’un passage du même auteur à un passage d’un autre auteur : aucun critique ne renonce donc à une hypothèse minimale sur l’intention d’auteur, comme cohérence textuelle, ou comme contradiction se résolvant à un autre niveau (plus élevé, plus profond) de cohérence. Cette cohérence, c’est celle d’une signature […], c’est-à-dire comme un réseau de petits traits distinctifs, un système de détails symptomatiques − des répétitions, des différences, des parallélismes − rendant possible une identification ou une attribution. Personne ne traite jusqu’au bout la littérature comme un texte aléatoire, comme de la langue, non comme de la parole, du discours et des actes de langage. » (81-82 : 1998.) « Extraire une œuvre de son contexte littéraire et historique, c’est lui donner une autre intention (un autre auteur : le lecteur), c’est en faire une autre œuvre, et ce n’est donc plus la même œuvre que nous interprétons. ==== III – LECTURES ET COMMENTAIRES: ==== Le rapport vie-œuvre : « Les intentionnalistes aussi bien que les anti-intentionnalistes préfèrent se fonder sur des traits textuels liés directement au sens plutôt que sur des faits biographiques liés indirectement au sens par l’intermédiaire de l’intention d’auteur, sans nier pourtant que les faits biographiques aient en leur faveur une certaine probabilité et puissent à l’occasion, sinon infirmer, du moins confirmer une interprétation. » (1998: 84) Compagnon aborde le rapport vie-œuvre d’un point de vue plus textuel, et c’est bien ce qui distingue son article des autres de la bibliographie dans lequel il figure.