FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Didier DECOIN Titre : Il était une joie… Andersen Lieu : Paris Édition : Ramsey, coll. « Affinités Électives » (« Chaque romancier a son livre de chevet et chaque écrivain a son “père” littéraire. La collection “Affinités électives” est l’histoire de ces relations filiales. ») Année : 1982 Pages : 158 p. Cote : PQ 2664 E27I35 1982 Désignation générique : Aucune

Bibliographie de l’auteur : Plusieurs romans ayant remporté de nombreux prix, par exemple : Elisabeth ou Dieu seul le sait, prix des Quatre Jurys (1971), Abraham de Brooklyn, prix des Libraires (1972), John l’Enfer, prix Goncourt (1977). Au moment où il rédige cette biographie, il vient de terminer le roman L’Enfant de la mer de Chine (1981) et sa production romanesque est tout aussi importante par la suite. Il a aussi écrit quelques essais.

Biographé : Hans Christian Andersen

Quatrième de couverture : « Où l’on voit un vilain petit canard qui rêvait de chanter l’opéra, devenir malgré lui un écrivain célèbre, depuis le cap Farewell jusqu’en Terre Adélie. Où l’on révèle que pour être né dans un cercueil, Andersen n’en finit pas moins sa drôle de vie en allant boire du chocolat chaud chez la Reine. Où l’on découvre que les héros d’Andersen osent[,] par amour, défier la Mort en personne, mais que le conteur s’évanouit comiquement en demandant la main d’une jeune fille. Où l’on apprend pourquoi ce bonhomme étrange, à qui Dickens et Hugo disaient “mon ami”, s’entend familièrement appeler “mon frère Hans” par l’auteur de ce livre. Où la preuve est faite que cet Andersen-là est bien la clef secrète qui ouvre le petit monde de cet autre (ra)conteur d’histoires qu’est Didier Decoin ! »

Préface : Aucune

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) : La couverture, comme dans tous les livres de cette collection, superpose des photographies en plans rapprochés des yeux du biographe et du biographé.

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’auteur et le narrateur sont absolument identifiables à la même instance puisque le narrateur présente des éléments de sa vie qui sont vérifiables (ses romans, ses prix littéraires, son père cinéaste, etc.), qui concordent avec le nom de l’auteur. La situation d’énonciation du narrateur est également celle de l’auteur, notamment par le survol historique qu’il lui est permis de faire. Exemple : « Dans cent ans, ce quartier d’Odense sera classé Zone résidentielle, mais en 1805 ce n’est qu’un enchevêtrement brouillon de maisonnettes de guingois… » (p.41)

Narrateur/personnage : Cette relation se thématise à l’occasion, pas aussi fortement peut-être que celle du biographe et du biographé, mais dans la mesure où le narrateur et le personnage deviennent tous deux des personnages fictifs qui se côtoient dans divers univers, entre autres celui de la biographie elle-même : «Ah ! décidément, voilà un livre bien étrange à écrire, mon frère Hans ! C’est comme si nous parlions à bâtons rompus, une de ces conversations d’auberge dans la brume ; il y a longtemps que notre hôtelier est monté se coucher en emmenant la servante avec lui, mais Dieu soit loué ! le feu de genêts brûle encore dans la cheminée.» (p.125) / «…nous refaisons son monde et le mien» (p.135)

Biographe/biographé : Cette relation est fortement thématisée, ne serait-ce que dans l’interpellation «Mon frère Hans» qui revient comme un refrain ou, mieux encore, par la forte identification du biographe pour le biographé : «Moi je vous aime, Hans. Si vous n’existiez pas, je vous aurais inventé. Peut-être. Sans doute. Et d’ailleurs, j’ai l’impression de vous avoir inventé car il y a un peu de vous dans toutes mes figurines d’encre noire.» (p.83) / «Le thème [de la mort qui enfante l’amour] (on peut presque dire le chant, puisque Hans va le reprendre à l’occasion de chacun de ses contes les plus importants) est d’une modernité absolue. Et c’est celui qui me hante.» (p.89) Le biographe offre, par la suite, une analyse de certains de ses écrits par rapport à ce thème développé par Andersen (p.91-100) À l’aide de sa propre histoire, le biographe tente de donner plus de relief à ce qu’il raconte à propos du biographé. On passe ainsi de la vie de l’un à la vie de l’autre, mais, ce qui rend le tour intéressant, c’est que Decoin ne raconte des éléments de sa vie que dans la mesure où ils ont un rapport avec Andersen : «Mais déjà, il a ceci que je veux dire : à la différence au moins que le cordonnier manqua sa vie et que Henry Decoin réussit la sienne, les deux pères se ressemblent : car ils nous ont légué, à Hans Christian et à moi, le pouvoir le plus grave dont un homme puisse disposer en ce monde : celui d’oser créer, à partir de la seule matière fugitive du songe. Devant ce partage d’un même legs, les nuances d’époque, d’origine et de nationalité s’effacent. Je me sens un peu le frère de Hans Christian Andersen.» (p.54) Plus encore, le réel et le fictif se mélangent ; racontant l’histoire de la «Petite Sirène» et arrivant à la scène où elle danse pour le prince : «C’est bien ennuyeux, imaginez-vous ! Car derrière les tapisseries deux spectateurs qu’on n’avait pas invités se sont dissimulés tant bien que mal, le dos écorché par les aspérités du granite […] C’est Andersen qui est derrière la première tapisserie, les doigts noircis déjà par l’encre qui dégoutte de sa plume. Et je suis blotti dans l’encoignure voisine. La petite ondine ne danse pas pour le seul prince et ses parents royaux, elle danse aussi pour Hans Christian et pour moi. De cette danse à laquelle nous croyons assister […], de cette danse Andersen va tirer les pages que l’on sait. Et moi, cette danse va me hanter, je vais presque sans m’en rendre compte la prolonger, et de livre en livre lui faire écho.» (p.69-70)

Autres relations : Le rapport du narrateur au lecteur est important, marquant parfois une fonction de régie («je vous propose que nous retournions nous enquérir de son destin» p.79) ou une fonction d’«initiateur» à Andersen. Par exemple : La thématique de la mort étant omniprésente dans la vie et l’œuvre d’Andersen, le biographe émet un avertissement : « Si ça ne vous plaît pas, arrêtez mon livre ici même. Et revendez aux bouquinistes votre recueil des Contes. Si vous poursuivez, que ce soit en lecteur averti : vous pénétrez dans cette enceinte à vos risques et périls. Où tournez-vous ces pages ? Je n’en sais rien. Mais je voudrais vous transporter dans quelque maison granitique…» (p.36) ou, plus simplement, un désir de concordance : « Car c’est un des miracles d’Andersen : vous ouvrez le recueil de Contes au hasard, un peu comme on ouvre une Bible pour y trouver une leçon de vivre, et vous y voyez votre reflet. Forcément, quelque part dans le livre, un conte d’Andersen est votre histoire. Tout se passe alors comme si le narrateur tirait sa chaise près de la vôtre, se penchait vers vous, et commençait ainsi : - Il était une fois toi-même…» (p.33)

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Le récit de la vie d’Andersen, qui parsème la biographie, suit une courbe chronologique, mais on entre très peu dans les détails ; sa naissance, sa jeunesse difficile, sa prise en tutelle, ses premières pièces, ses contes, ses amours…. jusqu’à sa mort, tout défile, mais Andersen reste une figure évanescente. L’auteur, en racontant certains épisodes de sa propre vie, suit aussi une courbe chronologique. Il me semble fastidieux, pour ne pas dire inutile, de tenter un résumé de l’intrigue tant elle se noue dans l’écriture. Je me contenterai donc de remarquer que la quatrième de couverture, si elle a l’air inquiétante au premier abord, résume très bien les grands segments du livre.

Ancrage référentiel : Les différents événements de la vie du biographe, les lieux du Danemark (Copenhague), etc. N’est pas très marqué par ce type d’ancrage ; il n’y a ni notes, ni bibliographie, ni référence.

Indices de fiction : Très nombreux indices de fiction, notamment la présence de scènes et de dialogues (ex : naissance d’Andersen) ou le recours à des marqueurs tels que «Rêvons la rencontre :» (p.64) ou la présence très nette de la fantasmagorie, dont un dialogue entre Andersen et un «rêve cannibale» (p.75-76), une rencontre de Decoin et d’Andersen «dans cette auberge imaginaire…» (p.135) et un monologue d’Andersen après sa mort (il s’adresse à Decoin) (p.135-136). On passe généralement au présent de l’énonciation pour une scène racontée sous le mode fictionnel. Exemple : « La rue où naquit le petit Andersen s’appelle Hans Jensensstraede. La bicoque sent le cuir, la colle rustique et la cendre. La mère était lavandière jusqu’à hier soir… » (p.40)

Rapports vie/œuvre : Le biographe s’intéresse tant à la vie qu’à l’œuvre d’Andersen qui se fusionnent de façon assez naturelle : «On n’apprend pas impunément le monde depuis le fond d’un catafalque . Alors du coup, on meurt énormément chez mon frère Andersen.» (p.55) Selon Decoin, l’auteur se révèle plus volontiers (quoique peut-être à son insu) dans son œuvre que dans ce qu’il dit explicitement sur lui-même : «Suivons un instant l’aventure de Johannès, le héros du Camarade de voyage. Voilà un conte plus révélateur de la vérité d’Andersen (une fois franchi l’obstacle, d’ailleurs dérisoire, des symboles) que les autobiographies embryonnaires et masquées que son l’Improvisateur ou le Livre de ma vie.» (p.76) «Ce Johannès aux mains vides et aux poches de même, hanté par l’obsession d’un visage entrevu en songe, et dont les espérances de succès approchent du zéro absolu, est l’autoportrait le plus lucide que nous ait livré Andersen.» (p.77)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : 1 / La lecture est thématisée de façon majeure, surtout, évidemment, la lecture des contes d’Andersen. L’auteur joue ici efficacement le jeu de l’altro-identification : il cherche sa filiation avec Andersen. Par exemple, alors qu’il était encore enfant, un soir d’orage, il est seul avec sa jeune sœur par et, pour distraire cette dernière de sa peur, il lui raconte une histoire remaniée d’un conte d’Andersen et il conclut : « D’une manière générale, on s’accorde à penser que je suis devenu écrivain en 1966 lorsque Jean Cayrol lut et publia mon premier manuscrit, le Procès à l’amour. Il y a une autre hypothèse : j’ai été écrivain en cette nuit d’orage où, pour ma petite sœur qui avait peur des éclairs, j’ai trafiqué un conte de Hans Christian Andersen. Deux enfants sur un canapé à grosses fleurs, la petite se blottissait contre moi, je refaisais le monde en refaisant le conte. » (p.25)

2 / L’écriture est quelque peu thématisée, notamment dans son rapport au topos principal, soit celui de la mort : « La mort, je sais, elle est dans tous les livres. Mais là, chez Andersen, elle n’est pas un personnage. Ah, non ! Elle est la substance même de l’écriture. Sa source, son flux et son venin. » (p.37) / «De conte noir en conte tragique, Andersen exorcise la tentation suicidaire. C’est l’écriture, l’écriture fringale, l’écriture comme la mer toujours recommencée, qui lui maintient la tête hors de l’eau ; ou plus exactement à distance salutaire d’un canon de revolver. C’est que, depuis le début, le choix d’Andersen a été de devenir un cadavre ou un génie.» (p.60) L’écriture de Decoin est elle aussi thématisée : «De même que la petite sirène d’Andersen est muette alors que son supplice est tel qu’elle devrait n’être qu’une espèce de boule secouée de hurlements, mon écriture est celle des mutismes plaqués comme des bâillons sur des cris qui, sans quoi, seraient insupportables.» (p.71)

Thématisation de la biographie : Pas thématisée outre mesure. Quelques marques de l’énonciation : «(je suis tenté d’écrire l’osmose)» (p.53) ou présence d’un métadiscours : «…ma femme me demande si j’ai bientôt finit ma page…» (p.156) La biographie est plus directement thématisée par le biais de la relation bio/bio. Par exemple, à mesure que la biographie progresse, le biographe «commence à bien connaître [son] frère Hans» (p.138)

Topoï : la mort est certainement le topoï le plus important ; elle marque d’une façon singulière la vie d’Andersen et se retrouve dans son œuvre sous une forme perverse : «Mais au fait, qui meurt chez Andersen ? Pas les démons, pas les cruels : ce sont les enfants innocents, les miséreux, les incompris, les déjà-victimes, les mal-aimés qu’il engloutit dans des marécages, enfonce sous les flots de la mer, des torrents, qu’il étouffe sous le sable et sous le marbre. Ceux auxquels il s’identifie secrètement et absolument. Cette longue patience des contes, littérature à épisodes où l’auteur anéantit les personnages qui le symbolisent, ne serait-ce pas un interminable suicide intellectuel […] ?» (p.59) Les autres topoï sont l’écriture, la filiation littéraire, la pédophilie (au sens nabokovien du terme puisque Andersen avait une prédilection pour les femmes-enfants), les thèmes romantiques et gothiques (solitude, bâtiments vétustes, fantastique), etc.

Hybridation : Entre biographie et autobiographie, graphie et essai.

Différenciation : La volonté de se différencier de la biographie factuelle (et de faire ce que nous appelons de la «biographie fictive» parce que c’est bien ce qu’il fait) n’est pas du tout marquée dans la biographie elle-même. On croirait presque qu’une longue tradition le supporte. Pourtant, il me semble qu’en 1982, cette façon d’écrire, si elle n’était pas révolutionnaire, bouleversait quand même un peu les idées reçues… en tout cas, c’est à vérifier… du moins pour ma culture personnelle !!!!

Transposition : 1) Transposition de l’œuvre : - La biographie s’ouvre sur ce type de transposition. Une longue scène (p.11-18), racontée au « je », met en scène le narrateur qui se promène par une nuit de Noël dans une ville du Danemark et fait la rencontre d’Andersen qui dépose son manteau sur le corps d’une petite fille morte ; il s’agit de la petite marchande d’allumettes. Après avoir échangé quelques mots avec lui, le narrateur se retrouve seul avec le corps de la petite fille, essaie de la ramener à la vie d’une façon quelque peu ambiguë ; il s’étend sur elle et lui fait le bouche-à-bouche. Au bout de la nuit, la petite fille s’éveille et lui demande de lui apprendre la valse. Par le biais de cette fiction, Decoin introduit le personnage d’Andersen (en fait la description physique, entre autres), mais s’introduit plus particulièrement, « l’espace et le temps de quelques pages », dans son imaginaire un peu tordu par la « force d’inertie de l’imagination » (p.18). C’est ainsi que, du biographé, nous passons à l’imaginaire du biographe qui explique avoir toujours, depuis son enfance, « détourner » les contes : « moi j’entraînais les histoires jusqu’à ce qu’elles me claquent dans la tête comme l’élastique de l’avion-jouet qu’on remonte trop loin. » (p.18) La suite de cette scène, où le biographe doit rendre des comptes à des policiers à cheval, clôt la biographie (p.157-158) - D’autres exemples de transposition de l’œuvre se retrouvent ponctuellement. Par exemple, lorsque l’auteur, encore enfant, s’insère dans un conte d’Andersen pour en changer le cours. N’appréciant guère que le soldat d’un conte tue la vieille femme qui lui remet un briquet magique, il attend plusieurs fois avant d’oser intervenir : « Mais je n’en pouvais plus derrière mon arbre sec, de voir rebondir la tête aux yeux ouverts, étonnés, sur les silex du chemin. Un jour, je m’enhardis, et je dis tout bas à la vieille pendant que le soldat étudiait le mécanisme du briquet : - Mémé, fiche le camp, ce type est un sale type, il va te couper la tête. C’était une vieille très intelligente, elle fit ce que je lui conseillais, elle prit ses jambes à son cou […]. Le pollen des fleurs qu’elle écrasait en fuyant tâchait [sic] de jaune d’or sa robe absolument noire, c’était très beau. Le soldat releva la tête, il vit simplement que la vieille n’était plus là mais, comme il avait le briquet, le reste ne l’intéressait pas. » (p.23-24) - Aussi, une sorte de mise en abyme de l’œuvre qui a fortement laissé une marque sur l’écrivain : encore une fois, lorsqu’il était enfant, il reçoit une mini-caméra et décide de faire un film. Sa deuxième tentative est la mise en scène de la « Petite marchande d’allumettes » d’Andersen avec, dans le rôle principal, sa petite sœur. Après plusieurs heures de tournage, celle-ci décide qu’elle en a assez (« J’ai trop froid dans cette histoire ») et abandonne le film. L’auteur avance : « Voilà que j’avais froid, moi aussi. Je n’avais plus qu’à projeter dans ma tête les images du film qui n’existerait jamais, comme la fillette du conte voit défiler dans le halo des allumettes les très riches heures de cette nuit de fête dont elle est exclue. » (p.31-33)

2) Transposition du discours de la critique : N’est pas marquée comme tel de façon trop explicite, mais elle sous-tend tout de même le projet biographique. En fait, l’auteur s’inscrit dans un contre-discours sur Andersen, car il ne voit pas en lui un auteur de contes pour enfant, mais un auteur tout court, souvent subversif et amoral : « En réalité, comme beaucoup des contes d’Andersen, il était définitivement amoral. Plus amoral en tout cas que la page des faits divers dans le journal du soir.» (p.21) Il spécifiera plus loin le rapport vie/œuvre tel que vu par la critique et tel que vu par lui, rapportant la lecture générale (et généralisante) qui s’applique à sa vie et à son œuvre : «Tout le monde vous dira que Hans, mauvais joueur, a remonté sa pente en vouant Ribord aux gémonies.» (p.132). Autre exemple : la tradition critique veut que le conte du « Vilain petit canard » soit nettement autobiographique, qu’Andersen y trouve là sa revanche sur ceux qui l’ont rejeté à cause de son enfance et de son aspect miséreux, qu’il est également, un narcissique avoué : « Écrit dans un moment d’exaltation, et sans doute aussi pour exaspérer certaine(s) jeune(s) fille(s), le conte du vilain petit canard ne nous apprend rien. Sinon qu’Andersen a autant de talent que de vanité. Cette accusation, ce n’est pas moi qui la porte, c’est Marcel Aymé. » (p.35, je souligne) Sans être totalement en désaccord avec ce portrait, Decoin avance que la seule lecture de ce conte n’offre qu’une vision très partielle, car Andersen se révèle tout autant dans le reste de son œuvre : «La petite marchande d’allumettes est plus révélatrice d’Andersen et de ses mystères. Au-delà du mélodrame primaire, ce conte met en scène le jeu de la création. » (p.35) Pour Decoin, l’œuvre d’Andersen est hantée par la mort et il en offre, effectivement, tout au long de ce livre, une lecture bien contraire à celle plus conventionnelle de l’écrivain pour enfant, voire de l’homme un peu fade et anti-héros par excellence : «[S]ous un dehors bonhomme, placide jusqu’au ridicule, ou ému grotesquement par un incident dérisoire, mon frère Hans est aussi profondément trouble, troublé et troublant que des auteurs dits majeurs – de ceux qu’on ne confie pas volontiers aux enfants.» (p.147). Après avoir beaucoup insisté sur l’importance de la mort dans l’écriture d’Andersen, il conclut : « Et c’est ça qu’on abandonne la conscience tranquille aux enfants, sous les branches basses des arbres de Noël ? C’est ça, oui. Le plus extraordinaire étant, parfois j’y pense, que le livre des Contes reste sagement inerte sous son papier cadeau sans révéler sa vraie nature de brûlot, sans laisser fuser dans un moment d’admirable ironie quelques bulles joyeusement gonflées de gaz délétères. Mais ne retirez pas le livre d’Andersen de dessous le sapin. Peut-être parce qu’ils nous arrivent du néant, nos enfants n’ont pas autant que nous peur de la mort. La mort glisse sur l’enfance comme la foudre sur le cerf-volant de Benjamin Franklin. » (p.37)

Autres remarques :

LA LECTURE

Pacte de lecture : Ambigu. Entre vérité et fiction.

Attitude de lecture : Ce petit livre est fort peu ragoûtant à première vue, mais sous son aspect de vilain petit canard se cache un cygne magnifique. J’ai énormément apprécié cette lecture d’une œuvre qui convient parfaitement à notre corpus et qui en exploite les diverses possibilités (fiction, interprétation, relation bio/bio, etc.)

Lecteur/lectrice : Manon Auger