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FICHE DE LECTURE

INFORMATIONS PARATEXTUELLES

Auteur : Pascal Quignard Titre : Albucius Lieu : Paris Édition : P.O.L. Collection : aucune Année : 1990 Pages : 236 p. Cote : UQAM : PQ 2677 U46 A84.1990 Désignation générique : aucune

Bibliographie de l’auteur : La haine de la musique, Tous les matins du monde, Sang, L’être du balbutiement, Inter aerias fagos, Une gêne technique à l’égard des fragments, Le salon de Wurtemberg, La leçon de musique, Petits traités, etc.

Biographé : Caius Albucius Silus

Quatrième de couverture : Le livre est présenté comme le lieu de l’exhumation des romans érotiques d’Albucius, « les MILLE ET UNE NUITS du monde romain sous la dictature de César et au début de l’empire ». « La vie de Caius Albucius Silus – la vie du plus grand et du plus singulier des romanciers d’alors – sert de contre-cadre. » Lui est ici présenté comme un homme ombrageux, amoureux des choses sordides et plein de manies bizarres.

Préface : AVERTISSEMENT : Dans son avertissement de trois pages, Quignard met trois aspects en relief, il me semble. 1- La personnalisation du projet biographique : « Quand le passé offre peu de joie et que les mois qui sont sur le point de venir ne laissent présager que des répétitions, on trompe la monotonie par des assauts de passé. » (p. 7), dit d’emblée Quignard. Plus loin il ajoute : « En juin 1989, j’étais seul et j’étais las. J’ai noté soixante de ces pages assis sur un banc de bois, parmi d’énormes corbeaux funéraires, sur le rempart du jardin impérial à Tokyo. » (p. 8.) En écrivant, dit Quignard, « [j]’ai embelli ma vie de jours que je n’ai pas vécus. » (p. 9.) On voit bien le caractère personnel de l’entreprise biographique de Pascal Quignard : il a écrit parce qu’il s’emmerdait, pour se désennuyer! 2- Ancrage référentiel du récit : « Caius Albucius Silus a existé. Ses déclamations aussi. » (p. 7), rappelle Quignard. « On ouvre les cuisses des morts, et leurs ventres (vieux ventres doux de deux mille cent ans) se touchent et se recouvrent. » (p. 7) « Ce qui fut vrai protège mieux le faux et les désirs auxquels le faux cède le passage qu’une simple intrigue anachronique qu’on rapièce et qu’on tire par les cheveux. » (p. 7.) L’ancrage référentiel – le choix biographique, autrement dit – constitue donc pour Quignard une prise de position esthétique. 3- La fictionnalisation : « J’ai inventé le nid où je l’ai fourré [Albucius] et où il a pris un peu de tiédeur, de petite vie, de rhumatismes, de salade, de tristesse. » (p. 8.) Il s’agit donc, selon le biographe, d’une invention du décor, de l’action peut-être, mais pas du personnage, qui est historique. Seule la fictionnalisation permet l’invocation des fantôme (voir Proust fantôme de J. Prieur) : « Ce fantôme y a peut-être gagné quelques couleurs et des plaisirs, et peut-être même de la mort. J’ai aimé ce monde ou les romans que son défaut invente. » (p. 8.)

Rabats : aucun

Autres (note, épigraphe, photographie, etc.) :

LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :

Auteur/narrateur : L’identification de l’auteur au narrateur est manifeste; ses apparitions dans le corps du texte sont assez importantes (et toujours très remarquées!). A=N, comme dirait Genette.

Narrateur/personnage : Le narrateur n’est pas personnage du récit. N≠ P.

Biographe/biographé : Mélange d’admiration pour celui que Quignard considère comme le plus grand romancier de son temps (plus grand que Virgile), et d’irrévérence pour cet être tourmenté et plein de manies. Ça c’est pour le lieu commun. Ce qui est plus original, c’est le mimétisme conscient ou inconscient du biographe par rapport à son biographé. D’abord, écrivant la vie d’un amoureux du « bas », du vil, du grossier, etc., Quignard le devient aussi, qui écrit par exemple : « C’étaient les années quarante, un temps où Antoine ne cessait plus de s’entretenir avec Cléopâtre, vulve où César a plongé. » (p. 83.) Plus intéressant encore, le français de Quignard se latinise au contact de l’œuvre et de la vie de l’écrivain latin : « Je juge que deux maximes sont fortes pour s’associer profondément et son corps et sa vie et son temps et sa langue […] » (p. 26.) C’est utilisation itérative de la conjonction « et » n’est pas fautive en français, certes, mais ce procédé qui a pour but d’amplifier l’effet d’addition est tout droit tiré de la langue latine qui n’a pas d’autres façons d’utiliser le « et ». De même, cette phrase qui traduit et paraphrase un extrait d’une déclamation d’Albucius : « Les principaux citoyens s’empressent de s’enfuir, qui dans sa barque, qui sous du bois de chauffage dans une charrette, qui la nuit parmi les troupeaux. » (p. 33.) La répétition du « qui » est aussi une syntaxe plus latine que française (tout en étant correcte en français). Dans ce cas traductologique, il semble que Quignard ait appliqué la théorie de Benjamin qui veut que la langue de départ doivent « travailler », modifier (ici, latiniser) la langue d’arrivée.

Autres relations :

L’ORGANISATION TEXTUELLE

Synopsis : Parcours et récriture de l’œuvre « romanesque » (les déclamations sont des romans pour Pascal Quignard) d’Albucius en suivant à peu près la chronologie de leur écriture et, en filigrane, la chronologie de la vie de l’écrivain. Étant donné la rareté des documents littéraires et biographiques qui se rapportent à Albucius, le fil de la vie est fragmenté et brisé; les anecdotes diverses comblent le manque de faits avérés; les « romans » parfois lacunaires sont alors achevés par les versions d’autres poètes du temps d’Albucius; les contextualisations historiques viennent combler les hiatus biographiques; le détail biographique remplace souvent la vision panoramique. Impossible à résumer selon les critère habituels de l’actio, Albucius ne se plie qu’à la descriptio.

Ancrage référentiel : Comme le souligne Quignard dans son « Avertissement », il est important pour lui de se rappeler qu’Albucius a bel et bien existé. Outre cela, la vérification des « faits » énoncés par Quignard exigerait une recherche documentaire semblable à celle que semble avoir mené le biographe pendant plusieurs mois, sinon plusieurs années… On peut dire cependant sans se tromper qu’il cautionne plusieurs de ses avancés de témoignages de contemporains d’Albucius : Annaeus Seneca, Cestius, Arruntius, etc. Le premier chapitre est consacrés à ces témoignages des « Amis de Novare » qui notèrent, par exemple, l’apparence physique et le caractère d’Albucius : « L’homme était chauve, maigre, grand, droit, plein de nerfs, abrupt. Il portait toujours un grand chapeau de feutre blanc à jugulaires. “Tristis, sollicitus declamator…” “C’était un romancier inquiet, tourmenté, jamais content de soi, qui ne puisait aucun repos dans le silence. Aucun secours dans le succès…” » (p. 13.) Les informations temporelles, calendaires – fort nombreuses – semblent elles aussi bien vérifiées.

Indices de fiction : Les nombreuses modalisations du genre « J’invente », « Imaginons », etc., permettrait de désigner Albucius, à la suite d’Ina Schabert, d’imaginative biography. Quelques exemples : « Je n’ai pas le dessein en composant ces pages de dérouler comme un fil la vie d’Albucius Silus. J’évoque une œuvre que je juge méconnue. J’indique quelques sons, quelques lumières peut-être qui se portaient sur son corps. » (p. 19.) « J’imagine Albucius Silus dictant un jour à un de ses librarius […] » (p. 23-24). « Nous sommes dans l’anachronie et les rêves. » (p. 74.) « Les ragots d’Asinius Pollio et de Cestius sont soudain bons comme du bon pain. Ou mieux encore : comme des dés de langue séchée pour peu qu’on les ait saupoudrés d’un peu de sel. Je les utilise sans qu’il soit besoin que je souligne combien ils sont invraisemblables. LE plaisir de médire les inspire. » (p. 113.) « J’invente cette page. Pas un témoignage antique ne la fonde. J’improvise sur du vent. » (p. 138.) « Je me mets à inventer irrésistiblement. » (p. 161.) « Je suis Eugène Viollet-le-Duc remettant debout ou inventant Notre-Dame de Paris ou le château de Pierrefonds. » (p. 195.) « J’invente. » (p. 200.) Accès à la vie intérieure d’Albucius, et même à sa vie embryonnaire!: « C’est en – 69 que César cessa d’être pauvre. Il aimait porter la bague en argent des sénateurs. Il commença par faire main basse sur l’Espagne ultérieure. Alors Albucius flotte encore et s’accroît dans les eaux de sa mère. » (p. 13) Narration au présent (mise en action romanesque) : « “Le mot ‘logos’ voulait dire pour les anciens Grecs une corbeille. Il ne veut pas dire exactement ‘lanx’ mais c’est ce que moi je veux dire!” Il [Albucius] se lève. Il montre alors avec la main au mur le légumier en bois de chêne qui datait de Carthage vivante. » (p. 24.) Actualisations (temps de l’énonciation ou passé du narrateur) : « Enfant, je descendais au métro Alésia. Je ne savais pas que je rejoignais la terre meuble au pied de la ville entre les murs des Gaulois et les fossés de César. » (p. 45.) « Je n’ai jamais eu besoin qu’on me remontre que le paradis existe. Je connais cent vingt ou cent trente lieux où il se situe […] » (p. 193.) Métaphore : voir la plus amusante, celle qui fait d’Albucius un marabout!

Rapports vie-œuvre : Pour Quignard, la vie d’Albucius hante son œuvre. Ainsi, sur le bord du suicide (qu’il aurait effectivement commis), « Trois des derniers romans d’Albucius Silus ont trait au suicide. Ils sont hantés par la douleur. » (p. 224.) Aussi, sa dégénérescence, sa sénilité affectent son œuvre : « il gâta son talent et parla dans sa vieillesse beaucoup plus mal que dans son âge mûr. » (p. 52.)

Thématisation de l’écriture et de la lecture : Lecture : « Je suis de ceux qui pensent qu’on ne pourra pas accroître la distance entre la main qui écrit et les yeux qui lisent : elle est toujours infinie. Cette main et ce regard ne sont jamais d’un même corps. » (p. 65.) Écriture : outre qu’Albucius se veuille une sorte de recueil des déclamations de l’écrivain romain, il est beaucoup question de son œuvre aussi en tant que thème des passages biographique. Bien sûr, il y a le goût « littéraire » d’Albucius pour le « sordidissime », qui a trouvé son expression privilégiée dans le genre du roman (encore aujourd’hui, dit Quignard) : « Le roman consistait à ses yeux dans une corbeille de jonc où toute chose abandonnée ou plutôt muette allait être recueillie. » (p. 43.) Le roman comme fourre-tout! Cet attrait du sordide et du littéraire remonterait, selon Quignard (et Albucius) à la 5e saison qu’a inventé Albucius, cet âge de l’infans (« qui ne parle pas ») : « Saison qui est étrangère non pas à tout langage mais au tout du langage, étrangère au langage comme discours, étrangère à toute pensée très articulée, étrangère à tous les genres littéraires constitués et de ce fait secondaires et qui débouche, simplement par défaut, sur un genre qui n’est pas un genre, plutôt un dépotoir, une décharge municipale du langage ou de l’expérience humaine nommés dans la Ville, à la fin de la République et sou l’Empire, “declamatio” ou “satura”, nommés plus tard, au cours du XIe siècle en France, du nom très romain de roman […] » (p. 72.) Mais l’acte même d’écrire était surtout, selon Quignard, une passion irrésistible, et, au final, une façon de se venger de sa peur : « Il ajoutait qu’il n’avait pu se garantir du désir de se venger de cette peur au point de la retourner contre ceux qui l’inspiraient. Qu’il n’avait pu se prémunir contre le plaisir d’immobiliser à son tour, de surprendre l’attention, de plonger dans l’affût, dans le silence, dans l’alerte des sens et la sidération. C’était l’art. » (p. 196.)

Thématisation de la biographie : Quignard écrit en quelque sorte sa biographie à partir des biographies (ou témoignages) des contemporains d’Albucius, comme Annaeus Seneca qui « a noté le détail des souvenirs que l’affection lui remettaient en mémoire. » (p. 11.) Quignard livre aussi sa conception de la destinée humaine, de laquelle découle sa conception de la biographie : « Chaque fois qu’on parle, qu’on écrit, chaque fois qu’on agit, chaque fois qu’on décide, on lance des parties de dés anxieuses dont on ne prévoit pas la durée, dont on ne mesure pas l’importance, dont on ne voit pas se dessiner la perspective et dont on n’imagine pas le cours. C’est pourquoi il faut porter une attention vague à tout, bavasser, agiter avec un peu de fièvre ce qui nous entoure. Puis brusquement apparaissent en un éclair le symptôme dans la parole libre, l’occasion dans l’action souple – et là il s’agit d’être à la hauteur et de foncer sans crier gare. » (p. 27.)

Topoï : Histoire, Empire romain, caractère, écriture, sexe, procès, déchéance…

Hybridation : Vies parallèles : emprunt évident au genre initié par Plutarque, on pourrait appeler les extrait qui recyclent cette forme « Vies parallèles de César et Albucius »; exemples : « César crée la presse en – 59. En – 59 Albucius va étudier l’Odyssée latine chez le grammairien. » (p. 14.) « Albucius est à Athènes. Quand il rentre à Rome, César gagne l’Afrique. Ils sont tous deux sur un bateau. Ils flottent. » (p. 51.) (Voir aussi et surtout p. 88.) La mis en parallèle de César et Albucius montre bien comment Quignard monte le second au nues… ou descend le premier au plus bas! Ailleurs, Quignard invente également les vies parallèles trans-historiques : « Plusieurs siècles plus tard les tournées de Lucien ne sont comparables qu’à celles de Dickens à la fin de sa vie, l’un dans l’empire romain, l’autre dans l’empire britannique, chacun recherchant l’Inde. Ou Apulée, qui fait songer à Jorge Luis Borges durant la dernière saison de sa vie – sinon la mule ici, l’avion là. » (p. 22.) Recueil littéraire et biographique : « J’ai le souci que ce récit d’une vie soit aussi le recueil des plus beaux romans. » (p. 54.) Et de fait, la biographie est une sorte de contre-cadre à la retranscription-traduction-explication des roman d’Albucius.

Différenciation :

Transposition : Si on peut parler de transposition de la théorie schwobienne sur la biographie, eh bien c’est ce que fait Quignard. Son personnage semble se prêter à l’anecdote et au détail unique, sans doute, mais n’empêche que l’abondance de ceux-ci montre clairement la filiation de Schwob chez Quignard : la passion d’Albucius pour un compotier de chêne (interpréter cavalièrement par Quignard), « Le manteau de César [qui] est un de ces détails que la vie, qui se raconte comme les romans, requiert à l’instar d’un indice qui caractérise le héros. » (p. 46.), « Toute sa vie il [Auguste] souffrit de dartres, de faiblesse congénitale de la hanche, de la cuisse et de la jambe gauches, de crampes de l’index droit, de coliques néphrétiques, de calculs et de sinusites chroniques. » (p. 116.), « Sur Albucius, on sait pourtant qu’il aimait lui aussi les rhinocéros, les compotiers, les lauriers-roses, les latrines, les éponges, etc. » (p. 133.) Même une fois Albucius mort, Quignard laisse la dernière phrase de son livre au rappel d’une bizarrerie de son biographé : « Il mourut en tenant serrée entre ses mains la main de la nourrice qu’il payait pour son lait. Chaque matin elle trayait sa mamelle au-dessus d’un bol. Il buvait tiède. » (p.234.)

Autres remarques : Le chapitre intitulé « La mort de Virgile » est peut-être une référence au livre homonyme d’Hermann Broch.

LA LECTURE

Pacte de lecture : Annonce d’une fictionnalisation qui est respectée mais sans cesse modulée par des « J’invente », « J’imagine » qui montre la conscience de l’auteur qu’il est lui-même le narrateur et qu’il participe d’un genre aussi tiré vers la science, et qui provoque des attentes de véridiction, la biographie.

Attitude de lecture : Livre qui vise droit au but : on découvre un homme, une œuvre et en plus, on a le plaisir de la lecture littéraire.

Lecteur/lectrice : Mahigan Lepage

fq-equipe/albucius_par_quignard.1238539441.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

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