Auteur : Thierry Laget. Titre : La Fiancée italienne Lieu : Paris Édition : Gallimard Collection : « L'un et l'autre » Année : 1997 Pages : 137 Cote : BANQ, niveau 1, Romans, L174f Désignation générique : Aucune
Préface : Aucune.
Rabats : Deux. L'un présente le programme de la collection. L'autre accompagne la lecture de La Fiancée…; il existe, lit-on, peu de témoignages sur l'existence d'Alaïde; aussi, et « avant qu'elles ne s'effacent, [s]es dernières traces » devront être répertoriées, y affirme également l'auteur. Bref, Laget portraiture un personnage évanescent : « Elle signait parfois ``Ala`` –– l'aile ––, ce battement, cette caresse que l'on sent toujours près de soi quand l'oiseau a regagné le ciel et que, dans son envol, une plume tombe à nos pieds. » Et pourtant sa présence investit totalement l'auteur. Elle lui adresse, imagine-t-il, cet impératif : «``Fais mon portrait.``» Laget n'aura de cesse, dans le livre d'où provient l'extrait placé sur le rabat (1997 : 17-18), d'évoquer une Alaïde à la fois omniprésente –– « à croire que partout autour d'elle résonne de grands miroirs » –– et entourée de mystère, au point de paraître confinée à l'anonymat.
Image de la couverture : D'après un « [p]ortrait d'Alaïde Banti en blanc, étude (détail) par Giovanni Boldini ». Seule la silhouette –– ou presque ––, de couleur orange-rouge, apparaît sur le fond, bleu, que procure la couverture du livre. Voilà une Alaïde à peine esquissée. Ne dirait-on pas le modèle, impalpable, à la poursuite duquel se lance notre auteur ?
Autres : L'auteur remercie à la fin de son livre les individus l'ayant renseigné au sujet de l'existence de son modèle (Dianora Tasciotti Opperman, la petite-nièce d'Alaïde, entre autres personnes, y figure. Je reparlerai d'elle.). Laget exprime aussi sa reconnaissance à l'égard des individus lui ayant permis d'accéder à divers lieux ou documents ayant trait à Alaïde; et termine en mentionnant les « institutions accueillantes » –– archives, bibliothèques (1997 : 138) –– où l'ont conduit ses recherches.
Pays d'origine : France.
Profession : Écrivain et critique littéraire, et traducteur.
Bibliographie : Romancier, Laget a publié sept ouvrages; Iris (1991) a été couronné du prix Fénéon en 1992. Quant à ses essais, au nombre de cinq (voir le classement des oeuvres de Laget proposé sur son site officiel, www.Ipce.com/thierry-laget), quatre d'entre eux sont réunis dans la collection « L'un et l'autre »; Florentiana (1993), À des Dieux inconnus (2003) et Portraits de Stendhal (2008) s'ajoutent ainsi à sa Fiancée italienne.
Identification de la biographée : Alaïde Banti.
Brève biographie de la biographée : Non disponible.
Époque de la biographée : 1855-1929.
Pays d'origine : Italie.
Auteur/narrateur : L'auteur est le narrateur.
Narrateur/personnage : Le narrateur s'implique comme personnage de sa narration. Mais, accaparé par le fantôme d'Alaïde, il ne consacre pas, ou si peu, d'attention à sa propre personne.
Biographe/biographée : Elle le fascine; revit en lui (1997 : 135). Il arrive même à Laget de regarder avec une certaine concupiscence certains portraits d'Alaïde (1997 : 80). Viscéral, charnel est le rapport entre le biographe et la biographée.
Synopsis : 1er et 2e chapitres. Laget traite de sa démarche de biographe. Elle n'est pas sans présenter des similitudes avec celle des profanateurs –– ils existent réellement –– de la tombe d'Alaïde; comme eux, il tente de ravir ce qui reste de précieux à la défunte, enterrée avec ses bracelets et bijoux, objets de convoitise pour les pilleurs, et ses secrets, dont l'auteur voudrait s'emparer. C'est qu'Alaïde n'est guère connue. D'où les velléités de « profanation » dont fait preuve notre biographe. Laget entend toutefois lui rendre l'hommage lui étant dû.
3e chapitre. Parcourant le Barone, cette villa habitée naguère par Alaïde, Laget évoque un souvenir de lecture : Niccolò de` Lapi, un roman de Massimo d'Azeglio ayant pour cadre référentiel la villa en question (1997 : 24). Quant à la vie d'Alaïde, elle est, par conséquent, « comme écrite par un romancier » (1997 : 26, je souligne). 4e chapitre. Personnage romanesque, Alaïde est aussi une source d'inspiration pour son propre père, Cristiano Banti. Il l'a peinte. Obscur, le parcours de Cristiano annonce celui de sa fille. En effet, après avoir vu célébrer ses qualités d'artiste, le peintre en vient à éviter la commercialisation de son art, refusant de peindre autrement que pour lui-même, –– retournant les toiles de son atelier pour les dérober au regard.
5e chapitre. Obscurs sont aussi les motifs à l'origine de la prodigalité manifestée par la marquise Vettori à l'endroit des Banti : elle leur permet d'habiter la villa de Montemurlo, dispense à Alaïde une éducation des plus coûteuses. Plusieurs soupçonnent l'existence d'une liaison entre la marquise et Cristiano Banti. Et pourtant, rappelle Laget, elle lui choisit une épouse. Cet embrouillamini de faits (dont seuls quelques uns sont ici rapportés), tous contradictoires; de demi-vérités; de mensonges; s'offrant à un Laget qui cherche à voir clair en cette affaire, l'incite à préférer la démarche du romancier à celle du chercheur, condamné, celui-ci, à l'insatisfaction.
6e et 7e chapitres. Présentation des artistes associés au mouvement de la « Macchia » (tachisme). Silvestro Lega, Giovanni Costa, Marcellin Desboutin sont à l'avant-garde (ils valorisent la lumière coruscante, manifestent un goût prononcé pour l'obscurité), quand la Florence où vivent ces peintres en 1855 est passéiste en matière d'arts (1997 : 49-50). Outre les artistes ici mentionnés, on peut compter, pour permettre à celle-ci de rattraper son retard, sur Cristiano Banti et Giovanni Boldini, ceux-ci étant plus ou moins associés aux macchiaioli. Boldini peint Alaïde. Alaïde s'en éprend. 8e chapitre. Il n'est pas insensible à ses charmes; il quitte toutefois l'Italie (et Alaïde) pour la France, puis y revient, et finit par la demander en mariage. Mais aussitôt après avoir obtenu sa main, il s'enfuit de Florence, abandonne la future mariée. 9e chapitre. Plus Laget s'enquiert, recherches à l'appui, de la cause à l'origine de cette rupture, et plus celle-ci tend à se dérober à son entendement.
10e et 11e chapitres. En tout cas, Alaïde est loin d'être la martyre dépeinte par les biographes de Boldoni. Les « coups » qu'il donne, elle les lui renvoie du tac au tac. En témoignent les lettres de la fiancée italienne, pleines de pointes dirigées à l'endroit du peintre naguère chéri par elle. 12e, 13e, 14e et 15e chapitres. Laget met l'accent sur son talent d'écrivaine. Il vante également sa grâce de jeune fille, demeurée intacte tout au long de son existence.
Ancrage référentiel : Laget ressent telle une nécessité le besoin d'arpenter le lieu même où Alaïde a passé une partie de son existence, la villa le Barone, quitte à braver l'interdiction d'y circuler. Et pour cause : ce lieu, «[c']est l'âme d'Alaïde. » (1997 : 39) Une seconde destination jalonne le parcours de Laget. Il s'agit de l'autre demeure habitée par Alaïde, située, celle-là, « au sortir de la Porta Romana », demeure uniquement à la portée du voyageur ne reculant pas devant l'effort que coûte la dure ascension menant à ce « petit Éden qu'il a fallu mériter à force de vertu » (1997 : 122).
Lieux de quasi pèlerinage que ceux où Laget circule, parfois illégalement, et toujours difficultueusement (la maison de la biographée située au Barone est décrépite, envahie de ronces). Quant à la chronologie de la vie d'Alaïde, Laget la respecte; les lettres d'Alaïde fournissent au biographe une aide précieuse en ce domaine; il suit ainsi pas à pas les développements de sa relation avec Boldini; les situe dans le temps (1997 : 86).
Indices de fiction : La Fiancée… peut se lire comme un roman. Une expression me vient en tête. Qui perd gagne. Qui constate l'existence de lacunes au plan de la documentation enregistre le triomphe de l'imagination, mais pas n'importe laquelle, puisque l'auteur de La Fiancée… la bride, cette imagination, en vue de faire travailler celle-ci de concert avec son intelligence, le tout de manière à reconstituer les faits. Aporétique, le texte de Laget ? Et comment !
Indices autobiographiques : L'autobiographie de Laget se rapporte essentiellement à sa « rencontre » avec Alaïde.
Rapports vie-œuvre : Ne s'applique pas.
Thématisation de l'œuvre du biographé : Laget commente et cite les lettres d'Alaïde. À voir la place qu'il réserve à ces lettres, lui qui n'a pas coutume de citer quiconque (à l'exception de quelques biographes), et encore moins de donner, tels des morceaux choisis (les plus belles pages de l'épistolière, dans notre cas), de longs textes signés par autrui, on ne saurait trop insister sur l'importance accordée au talent d'écrivaine de la fiancée italienne : « Alaïde pratique la méthode des généraux et des grands artistes », et choisit, plutôt que d'attaquer de front son destinataire, Boldini, de lui porter indirectement des coups, prétextant du choix de sujets anodins afin de faire passer en contrebande des propos dont la charge accusatrice ne fait aucun doute (1997 : 108).
Thématisation de l'œuvre elle-même : Capital. Toujours, Laget fait état de ses recherches. « J'ai demandé à Dianora, petite-nièce d'Alaïde, ce qu'étaient devenues les lettres de Boldini » sensées établir la nature de sa relation, charnelle, à en croire la rumeur, dont les biographes se font l'écho, avec Alaïde (1997 : 88). En vain. Laget ne peut souscrire au récit relatif au contenu de ces lettres, inaccessibles parce qu'ayant été brûlées, fait par la petite-nièce (elle prétend en avoir eu connaissance). Il lui faut donc rétablir les faits. La passion de la fiancée italienne pour le peintre se situait à la « même altitude que celle où se trouvent les Idées de Platon » (affirme quelque part Laget [1997]. Je n'ai pu retrouver le passage où se trouve ce propos ni résister par ailleurs à la tentation de citer l'heureuse expression.) Dianora a beau dire. Les biographes aussi. Les lettres, au style compassé, que se sont échangées Alaïde et Boldini et qui ont été épargnées par le feu plaident en faveur de la version de Laget.
Son livre est une machine de guerre lancée contre les biographes de Boldini (tous autant qu'ils soient !) et les témoins (aussi crédibles paraissent-ils). Son livre renouvelle le discours biographique. Et ses démarches, abondamment décrites, en font foi : lecture talmudique de la correspondance Alaïde/Boldini, fréquentation assidue des archives, etc.
Aussi, l'une des pièces de résistance de La Fiancée… réside dans l'argumentation de l'auteur destinée à établir le point suivant au sujet du départ prématuré de Boldini, de son volte-face fait à l'occasion de sa demande en mariage (voir synopsis, 8e chapitre). Boldini n'a pu, comme le croient ses biographes, révoquer sa demande en mariage après avoir connu la désagréable surprise de constater le vieillissement de son épouse. À preuve : la correspondance des futurs mariés fait état de rencontres ayant eu lieu quelque temps avant la demande en mariage du peintre faite à partir de la France, suivie, cette demande, de son départ en catastrophe d'Italie. Demandant la main d'Adalaïde, Boldini savait à quoi ressemblait sa future épouse.
Rapport entre le texte et le programme de la collection : Le sans-gêne avec lequel Laget n'hésite pas, lui, le « romancier », à faire le ménage parmi les biographes, distribuant les mauvaise notes à ces tâcherons (Dario Cecchi, et d'autres, souvent confinés à l'anonymat), ne laisse pas d'étonner. Un « romancier » fait la leçon aux chercheurs ! Inclassable, le livre de Laget souscrit au mandat confié par le directeur de la collection à ses auteurs. Ces derniers s'affirment souvent tels des biographes hétérodoxes qui, pour mélanger les registres documentaire et fictionnel, produisent des oeuvres relevant de l'une et l'autre catégorie. Ainsi en va-t-il de Laget. En somme, La Fiancée… ne déçoit pas. Le texte remplit ses promesses. Il avère même la pertinence du programme de la collection. Une réussite. Voire l'un des joyaux de la collection.
Topoï : Le lieu, la mémoire, l'oubli. La relation entre la fiancée italienne et le peintre Boldini. Les macchiaioli. La démarche paradoxale d'un romancier féru d'exactitude, sinon scrupuleux et tâtillon. Mais encore : l'imagination du biographe toute entière accaparée par Alaïde. Enfin, les recherches menées aux archives et dans les bibliothèques par celui-ci.
Hybridation : Le texte emprunte à la fois à la fiction, à la biographie et, dans une moindre mesure, au commentaire critique (élaboré à partir de la correspondance d'Alaïde).
Autres remarques : Des repères pour baliser notre lecture. Sur la démarche de Laget apparentée à celle du romancier : p. 19, 26, 43 et 135 (1997). Sur les « songeries portées à la température de fusion de la niaiserie » atteinte dans plusieurs monographies sur Boldini : p. 87-88 (1997).
Pacte de lecture : À la manière de certains critiques d'art osant, en l'absence de faits établis, des hypothèses, l'auteur entend « ne se fond[er] que sur [sa] fantaisie, et ainsi serons-nous, poursuit-il, tentés de pratiquer désormais, puisque de plus savants que nous l'ont adoptée [la méthode des critiques] comme règle » (1997 : 19). Laget reviendra toutefois sur sa parole quelque soixante pages plus loin. Il semble alors en quête de la crédibilité faisant défaut à maints biographes.
Remarques générales sur la collection : La Ferme de Navarin de Gisèle Bienne (2008, « L'un et l'autre ») rappelle La Fiancée… Les intrigues de ces livres font la part belle aux lieux de mémoire (et d'oubli).
Lecteur/lectrice : Charles-Philippe Casgrain.