Genre(s) (littéraires ou autres) auxquels la revue consacre des « chroniques » :
Période 1986-1992 = Durant cette période, les chroniques de Voix et Images ont commencé à se structurer pour s’approcher de la forme qu’elles ont aujourd’hui. La chronique « essai » demeure toutefois la plus importante avec, en général, 4 chroniques qui lui sont consacrées; la chronique « roman » (qui prend à l’occasion celle de « récits ») oscille quant à elle entre 1 ou 2 et est placée, en 1986, sous la responsabilité de Jacques Pelletier (je crois que ces « responsabilités » s’estompent peu à peu au profit de l’autonomisation des chroniqueurs), mais Pierre Hébert la tient de façon régulière à partir de l’automne 1987. Les chroniques « Poésie » et « dramaturgie » font toujours une seule entrée, et la dernière est toujours assurée par Lucie Robert. La chronique « recherches » fait son entrée avec le numéro 43 à l’automne 1989.
Nom de la chronique : « Roman »
Durée de la chronique : 1986-1992. Hébert signe sa première chronique dans VI avec le numéro 32 à l’hiver 1986, mais les chroniques « roman » sont surtout assurées par Jacques Michon à cette époque. La deuxième chronique est au numéro 37 (automne 1987) et, à partir de là, Hébert signera régulièrement. Il signe au total 16 chroniques et fait ses adieux à celles-ci au numéro 51 (printemps 1992). Après cela, il inaugure la nouvelle chronique « revue des revues » et laisse la place à deux nouveaux chroniqueurs : Michel Biron et Jean-François Chassay.
Nom du chroniqueur : Pierre Hébert.
Note : d’autres chroniqueurs se joignent parfois à lui, mais il est le seul chroniqueur régulier à cette période. Les autres sont : Louise Dupré (hiver 90, hiver 91), Régis Normandeau (printemps 1990), Anne Marie Miraglia et Janet Paterson (automne 90), Renald Bérubé (printemps 91), Patrick Nicol (automne 91).
Statut institutionnel du chroniqueur : À l’époque, Hébert est professeur à l’Université de Toronto mais passe à l’Université de Sherbrooke en 1990.
Forme de la chronique (consacrée à quel genre? Fait-elle quelques lignes ou quelques pages ? Y’a-t-il plusieurs livres dans la même chroniques? Etc.) :
Chronique consacrée à des romans qui viennent de paraître, fait quelques pages comme toutes les chroniques de VI. La particularité d’Hébert par rapport à d’autres chroniqueurs avant lui est de faire état de plusieurs romans à la fois, en tentant bien sûr de rendre compte de chacun mais aussi de faire des liens entre eux, ce qui est parfois périlleux (on ne peut s’empêcher de le trouver courageux!)
Place de la chronique dans l’économie globale de la revue : Pour cette période, la chronique « roman » est la 2e en importance, après l’essai.
Événements littéraires québécois mentionnés : s.o
Posture générale du critique (ton, point de vue, etc.) : Comme chroniqueur, Pierre Hébert s’en tient à l’actualité livresque. Il livre généreusement (il s’en farcit des livres en peu de temps!) le fruit de ses nombreuses lectures mais reste dans le présent. Ses considérations sont plus anecdotiques que littéraires (le plaisir de lire, les livres sont comme les humains, sont comme du vin, etc.). Par exemple, il termine sa dernière chronique en faisant l’éloge de la fiction dans une réflexion plus large sur son pouvoir. Cela me semble assez dans sa manière. Il n’y a pas du tout une volonté de porter un regard large sur la littérature en train de se faire.
Réflexions générales sur la littérature québécoise contemporaine :
o « À l’impossible, certains sont tenus », Voix et Images, vol. XIII, no 1, automne 1987 (37), p. 192-194.
« L’aspect diversifié, éclaté du roman québécois actuel a été suffisamment mis en relief pour qu’un lecteur tant soit peu avisé évite de réduire les textes à deux ou trois tendances présumément dominantes. » (192) – Il ne spécifie pas qui, mais je trouve qu’il y a une démission précoce de la critique
o « Mourir. En attendant, dire ‘Bof’… », Voix et Images, vol. XIII, no 2, hiver 1988 (38), p. 339-343.
Il présente des romans sur la mort et propose une nouvelle catégorie de roman qu’il appelle les « romans-bof », du titre Bof génération de Jean-Yves Dupuis. La note de passage de François Gravel, Encore une partie pour Berri de Pauline Harvey et Loft story de Jean-Robert Sanfaçon sont d’autres exemples.
« Le héros-type de ce genre de roman est bien sûr désabusé, cynique, délibérément sans idées. Son ennemi numéro un: l'idéologie, qui n'existe que pour servir celui qui prétend s'en servir. Fils ou filles d'Hervé Jodoin? Pas tout à fait, car une nouvelle caractéristique les distingue: ces personnages sont jeunes, la plupart du temps. » (343)
La question que je pose : peut-on lier ce phénomène aux impassibles de Minuit ?
o « Voix et Images, mais de quel pays ? », Voix et Images, volume XIII, no 3 (39), printemps 1988, p. 492-496.
Il remarque un changement du rapport du roman au pays, mais ne peut le définir puisque les voix sont différentes, plurielles.
o « Ces romans qu’on dit ‘populaire’ », Voix et Images, vol. XV, no 1, automne 1989 (43), p. 131-137.
« Enfin, quelle que soit sa définition, le roman populaire occupe plus que jamais semble-t-il, une partie importante du champ littéraire québécoise » (131)
« Derrière Simon Léger [héros d’un roman de Jean-Robert Sanfaçon, L’eau dans l’encrier (1989)] se profile le portrait type du héros de notre temps: il a l'air plutôt incertain de lui-même, voire instable; sommeille chez lui la tentation de tout lâcher, de se réinventer une vie. Il est souvent tenté par l'art, afin de dire la complexité des choses et des êtres (p. 18). Dans le fond, il n'a qu'une préoccupation, le temps: Ce qu'il peut nous en jouer de joyeux tours dans une seule vie, nous laissant l'impression d'infini à vingt ans et du tout fout le camp à quarante, (p. 257) Mais, loin d'être amoral, ce héros de notre temps a conservé quelques valeurs fondamentales. » (133)
o « Expropriés d’aujourd’hui et d’autrefois », Voix et Images, vol. XV, no 3, printemps 1990 (45)
Sur La rage de Louis Hamelin, Hébert dit qu’il « met le doigt sur le sentiment de dépossession intérieure contemporaine » (452)
o « Qu’est-ce qu’une femme en noir, un projet de film et des portraits pornographiques ont en commun? », Voix et Images, vol. XVII, no 2, hiver 1992 (50), p. 324-332.
S’interroge sur l’évolution de la « recherche de soi » dans le roman québécois et observe une manière différente dans les « œuvres récentes ».
Sorte de « poétique du décrochage » (l’expression est de moi) : « Mais la recherche de soi se pose d'une tout autre manière dans un certain nombre d'œuvres récentes. Elle ne se fait plus par rapport aux normes collectives ou à une quête sociale. Tout au contraire: nombreux sont les personnages qui, pour (re)trouver leur moi accomplissent un parcours qui ne se pose pas par opposition, mais par décrochage. On ne compte plus les personnages en état de crise: ils prennent conscience que, à quelque part, ils ont dévié de leur idéal et qu'il se sont confinés à répondre aux attentes du social. Ils ont bien joué leur rôle, ils ont bien fonctionné; mais leur moi «véritable», celui qu'ils ont abandonné sur le bord du chemin, finit par les rattraper. La crise s'instaure: au delà des masques, des rôles, le personnage doit s'arrêter et se demander, sans mensonge: «Que m'est-il arrivé? Qui suis-je vraiment? Où est ma réalité?» Ouvrez presque n'importe quel roman récent (bien sûr, j'exagère… mais si peu!). Vous y lirez, souvent dès le début, quelque chose comme: « Il se sentait désabusé après avoir milité pour de nombreuses causés.» Ou encore: «Il approchait de la trentaine quand tout ou à peu près se mit à aller de travers»; «J'ai vu passer toutes les modes […]. Aucune ne m'a vraiment atteint.» Ne manquons pas de noter qu'au départ de ce parcours qui conduit au désabusement, il y a aussi ceux et celles que la masquarade [sic] sociale n'intéresse pas: Hamelin, Trudel, Harvey, Mistral. Le premier groupe veut quitter un certain espace social; le second erre. » (325)
Hébert analyse donc trois romans « qui posent cet état de crise » : André Girard, Deux Semaines en septembre, Montréal, Quinze, 1991 ; Roger Fournier, La Danse éternelle, Laval, Trois, 1991 ; Roger Des Roches, La Jeune Femme et la pornographie, Montréal, Les Herbes rouges, 1991. « Ne réduisons pas ces oeuvres à l'expression de l'individualisme contemporain ou au déclin, voire à la disparition des idéologies de rassemblement. Elles nous portent bien au delà de la réduction de l'univers à sphère individuelle. Ces nouveaux romans du « cas de conscience» ne cherchent plus à montrer les conflits des normes sociales, mais plutôt à libérer de celles-ci le parcours unique et authentique de chacun. Le discours de ces textes est ponctué par une crise, puis une quête: la crise, c'est la rupture d'avec la femme aimée, le succès artistique, un verdict de mort. Quant à la quête, elle est déclenchée par une femme en noir, un projet de film marginal ou une série de portraits pornographiques. La diversité de ces moyens ne doit pas faire écran à ce qui les unit : la réalisation totale et sans compromis de soi, le triomphe de l'idéal personnel sur les exigences sociales. » (332)
Élection de certaines œuvres ou certains écrivains : Non, bien qu’il se montre assez accommodant. La seule œuvre qu’il met véritablement de l’avant c’est La chair de pierre de Jacques Folch-Ribas, son article est d’ailleurs sous-titré « un roman exceptionnel » (automne 90)
Valorisation de lieux éditoriaux : non
Valorisation d’événements littéraires : non
Valorisation d’esthétique(s) particulière(s) : non. Remarque surtout les « décrochages » contemporain, les personnages en état de crise, le sentiment de dépossession.
Autres valeurs ou enjeux défendus :
Autres remarques :
Lecteur/lectrice : Manon Auger