Table des matières

AUDET, René (dir.) (2009), Enjeux du contemporain : études sur la littérature actuelle

Québec, Nota Bene.

Notes techniques :

o Ouvrage qui offre en partie une synthèse des deux premières années du projet, surtout à cause de l’introduction de René Audet et de l’article de Viviane Asselin.

o Je ne retiens que ces deux articles – les seuls que j’ai lus, considérant que les autres étaient consacrés soit à des œuvres françaises, soit à des genres autres que les genres narratifs. Quant à l’article de Fortier et Mercier, qui traite de la question de l’autorité narrative, il s’inscrit tout à fait dans la manière « troisième génération » (choix d’une problématique pour aborder la littérature contemporaine, corpus diversifié, volonté « souterraine » de placer les œuvres québécoises côte-à-côte des œuvres du reste de la littérature, etc.).

o Ces deux textes, essentiels pour le projet, me semblent offrir une excellente synthèse de ce que Viviane et moi avons pu accomplir comme recherche au cours des deux premières années de la subvention. L’article de Viviane, entre autres, offre un excellent point de chute à ma propre recherche que je ne crois pas nécessaire de poursuivre outre mesure – ne pouvant apporter que bien peu d’éléments complémentaires.

René Audet (2009), « Le contemporain. Autopsie d’un mort-né », p.7-19.

S’interroge, en ouverture, sur la pertinence d’étudier le « contemporain » : 1- exercice éphémère ou 2- nécessité de porter un regard sur « soi-même » (7). Pose ensuite la question de « qu’est-ce qui appartient à la catégorie du contemporain? » (8) 1ère définition possible : Rupture entre actualité et historicité – le contemporain : ce qui est du même temps que soi et n’appartient pas à l’Histoire.

Comparant quelques discours d’auteurs de manuels de littérature « contemporaine » :

« De ces trois exemples, nous retiendrons un malaise commun provenant de la volonté de rendre compte d’une actualité littéraire, mais qui n’est pas encore prise en charge par l’histoire. » (11)

Piste très intéressante; le contemporain n’est pas « racontable », par opposition à l’Histoire :

« Une large part du malaise provoqué par le contemporain, dans une perspective historique, est fondée sur l’incapacité à saisir cette période. En effet, si l’inscription d’une certaine production littéraire dans l’histoire consiste à en décrire le mouvement (à intégrer les éléments pertinents et à les articuler en un ensemble organisé et orienté – Goldenstein, 1990), la difficulté propre au contemporain réside dans notre impossibilité à raconter cette période. » (13, je souligne)

« Le contemporain, par son immédiateté, n’a pas encore trouvé à s’intégrer à cette téléologie de l’histoire. » (14)

« Ce défaut de raconter le contemporain empêche son inscription dans la mythologie littéraire, puisque nous sommes toujours en attente de paramètres qui permettraient de définir la portée et la représentativité des œuvres de cette période, définitions qui en toute logique sont établies a posteriori. Le contemporain, de fait, se situe hors de l’histoire, narrativement parlant. » (14)

Sur la question de désigner comme « contemporain » la période actuelle :

« Cette transformation du contemporain en étiquette sémantique, aussi périlleuse soit-elle, est propulsée par une forte pression historiographique, qui nous incite à inscrire l’actualité dans un récit, lequel a jusqu’ici donné du sens à une profusion d’œuvres et de courants esthétiques. » (15)

Deux constats résultants des diverses études réunies dans ce collectif :

1/ « Le premier constat, déjà admis par tous, porte sur le caractère polymorphe et insaisissable du corpus littéraire, en raison de l’augmentation du volume de publication et de l’ouverture des frontières nationales, de l’attention portée à la mondialisation de la littérature. »

2/ « Une second constat, qui a eut tôt fait de se dessiner, concerne une supposée vacance du discours critique sur la période contemporaine. » (15)

En résumé =

2 façons de définir le contemporain :

1/ ce qui est du même temps que soit et qui échappe à l’Histoire et à la possibilité de « raconter » - construire un récit linéaire?

2/ En faire une étiquette sémantique pour désigner une période précise

-On peut donc s’interroger : le contemporain serait difficilement saisissable dans la mesure où on le pense « par » l’histoire, en termes de rupture et/ou de continuité. Si on lit le présent à partir du passé, n’aurait-on pas tendance à chercher ce qui rompt ou ce qui continue, plutôt que ce qui pourrait être nouveau?

-Cette façon de faire se déclinerait différemment selon les « générations » de critique. Ex : la lecture en continue d’un phénomène particulier à travers les œuvres québécoise (manière 1ère et 2e générations) s’inscrit dans cette perspective historique. La 3e génération romprait plus radicalement avec cette façon « historique » de concevoir le présent, puisqu’elle a une perspective transversale (la 2e cherchant tout de même à porter un regard théorique sur l’objet).

Viviane Asselin, « Fuites. Prosopopée de la recherche sur le roman contemporain québécois contemporain », p. 21-47.

Dans cet article, Asselin tend à dépasser le mandat qui lui avait été assigné dans le cadre du projet de recherche, au profit d’une lecture au second degré, beaucoup plus riche et fort intéressante :

« Il ne s’agira pas de dresser l’inventaire des caractéristiques romanesques établies par les chercheurs. Au contraire, cette étude tend plutôt à dépasser le mode stérile du catalogue pour proposer une lecture gigogne, une sorte de métalecture réflexive sur le discours qui escorte la littérature actuelle. » (21)

De ce fait, son article synthétise plusieurs points que j’ai moi-même effleuré au cours de mes propres recherches.

1)Asselin ouvre son étude par un état de la situation critique en France, beaucoup plus ouverte et intéressée – malgré ce qu’on pourrait croire –, à cartographier l’état présent de leur littérature, à en offrir des études, des panoramas – du moins si l’on compare au Québec. Cette situation semble inusitée dans la mesure où, il n’y a pas si longtemps, l’institution française était frileuse à l’idée d’enseigner, dans les universités, un auteur qui n’avait pas été consacré (du moins par sa mort…)

→ Cela m’amène à réfléchir sur la question de la « légitimité » de parler d’une œuvre, voire de l’enseigner… D’où cela vient-il? De la critique? De la réception? De la postérité?… Or, au Québec, les instances de légitimation ne sont certainement pas les mêmes qu’en France, d’autant plus que notre histoire littéraire (nos canons même) est beaucoup plus récente. En ce qui concerne la littérature contemporaine, la légitimation ne peut venir que du discours critique qui se constitue à la fois de la critique journalistique, de l’appréciation populaire et de la critique universitaire – qui préparent, du moins, la légitimation à venir… Au Québec, universitaires et critiques étant souvent les mêmes (la frontière ne me semble tout de même pas aussi franche qu’en France), ce sont eux qui participent à la légitimation d’une œuvre, et cela par tous les moyens dont ils disposent, ce qui inclus, bien sûr, la critique et l’enseignement universitaires. La figure de Jacques Poulin, toujours encensée, toujours mise de l’avant dans tous les panoramas de la littérature québécoise en constitue selon moi un excellent exemple. Il me semble à tout le moins faire déjà partie des « gros canons » de la littérature contemporaine québécoise, une figure qui n’a nullement besoin d’attendre la mort pour être consacrée par la critique. Donc, rôle du critique… préparer l’histoire littéraire à venir?

Aspect comparatif :

« Au moins, malgré l’absence notoire de titres dédiés expressément au roman québécois des trois dernières décennies, celui-ci ne laisse pas complètement indifférent. Seulement, à ce jour, aucun ouvrage québécois ne saurait rivaliser avec les travaux français, du moins pas de manière aussi ciblée et, par conséquent, aussi riche. » (26-27)

2) Une hypothèse pouvant expliquer cet empressement de la critique française pour son contemporain (toujours par comparaison) pourrait être, selon Asselin, à rechercher dans cette volonté pour la critique partisane de faire accepter celle-ci par l’institution, mais aussi de la revitaliser… (« …un tel dévouement pour le contemporain se justifierait davantage par le désir de montrer à une institution encore réticente la pertinence du corpus. » 25)

→ Encore ici, dans une perspective comparatiste, nous pourrions-nous demander si, au Québec, la plus grande légitimité que semblent avoir les critiques de parler de la littérature contemporaine n’entraînerait pas, paradoxalement, un certain laxisme, celui que dénonce justement Asselin…

3) Déplorant que le roman contemporain au Québec ne reçoive pas une attention particulière, Asselin présente certaines méthodes, utilisées par la critique, qui permettent de l’aborder de biais :

a) « Ou l’on se tourne vers la rétrospective, sous la forme d’un exposé surplombant les tendances et les phénomènes déterminants de l’ensemble de la production littéraire ;

b) ou bien on approfondit un trait saillant de la pratique romanesque ;

c) ou encore on appréhende le roman par le détour d’une perspective théorique qui, sans discrimination, embrasse plus d’un genre. » (26)

→ Sans reprendre les termes de mes catégories, elle les rejoint quelque peu, particulièrement la première catégorie (a), qui rejoint la manière « 1ère génération » et la troisième © qui rejoint la manière 3e génération. La différence se situe surtout dans le fait qu’elle les attribue à la forme choisie par les critiques, plutôt que par une périodisation comme je tentais maladroitement de le faire.

Elle y revient un peu plus loin, mais avec deux catégories : il y aurait 1) la rétrospective ou le manuel de littérature et 2) la perspective orientée (détail d’un trait définitoire : « En somme, ces initiatives réduisent la pluralité de la production romanesque par une problématique nettement orientée, mais elles tentent, à hauteur de corpus, de genre ou de méthodologie, d’adopter une approche hétérogène, une approche d’ouverture. » 40).

→ Il me faudra voir jusqu’à quel point mes conclusions rejoignent les siennes… mais je pense qu’elle a raison, mon hypothèse des générations se voyant moduler non pas tant par le temps mais par la manière de faire (j’y reviendrai dans mon rapport final).

4) Le malléabilité du concept de « contemporain » : « Ce large spectre d’étude s’inscrit en outre dans une contemporanéité malléable, façonnée à l’envi par des chercheurs qui en reculent souvent les frontières jusqu’aux environs de 1960 et qui freinent leur élan au seuil des années 1990. » (26)

→ C’est le même constat que j’ai pu dégager lors de mes lectures, la frontière du « contemporain » étant toujours excessivement floue chez les commentateurs, qui l’ajuste selon leur perspective d’étude.

5) À propos de la thèse que j’avais avancée concernant l’hypothèse de Pierre Nepveu, comme quoi la critique troisième génération actualise l’idée que la littérature québécoise est bel et bien « morte » : cette idée a été reprise par François Ricard. Ce qu’en dit Asselin :

« Volontairement audacieux, Ricard pose le diagnostic d’une “post-littérature”, c’est-à-dire d’une littérature québécoise qui s’écrirait désormais en marge de la littérature, le radicalisme des années 1970 l’ayant dépouillée de l’essentiel de sa légitimité et de son autorité. Sa lecture dramatique et nettement orientée du contemporain accorde une place considérable – et de ce fait quelque peu gênante – au passé, comme s’il regardait la production actuelle depuis les années 1960. Il ne se prononce pas tant sur ce qu’est la littérature québécoise contemporaine que sur ce qu’elle n’est plus, voire ce qu’elle ne sera jamais plus en raison de son décès. » (29)

6) Asselin parle d’une « nostalgie passéiste » (29) chez les critiques que je n’ai pour l’instant pas remarqué de mon côté. Aussi :

« Ce discours polarisé autour d’un roman tantôt moribond, tantôt effervescent, repose pour beaucoup sur des jugements de valeur, à partir desquels on ne peut véritablement statuer sur l’état présent des lieux littéraires. Réfléchir en fonction de perte ou de gain revient, somme toute, à ne penser le roman contemporain qu’à la lumière de ce qu’il a hérité d’une littérature tenue comme parangon. » (31)

7) Au niveau de la forme, nous remarquons aussi la même chose, c’est-à-dire que l’éclectisme que l’on « reproche » au roman contemporain se répercute dans la façon même d’en parler :

« Si la proximité de l’objet d’étude participe déjà de l’impression de désordre, la démarche en surface des rétrospectives publiées tend à exacerber ce sentiment : le roman est livré parcelle par parcelle, cependant que l’ensemble est invariablement jugé dépareillé. Les observations proposées, qui tiennent moins de la réflexion que de l’énumération substantielle des lignes de force et des mouvements significatifs, demeurent trop superficielles pour donner une juste mesure des enjeux du corpus romanesque […]. » (33)

« …tout porte à croire que la période contemporaine privilégie l’exploration et l’interrogation plutôt que la contestation et l’invention. Peut-être s’agit-il, en définitive, de la raison du malaise actuel : en plus de l’hétérogénéité de la production, qui gêne le geste rassurant de rassembler et d’étiqueter, le roman d’aujourd’hui n’occupe pas, comme par le passé, une position franche… » (42)

→ Je ne suis pas certaine d’être en accord avec cela. Je pense que c’est plutôt une question de posture et de proximité, mais aussi une crainte des récits totalisants qui se répercutent aussi dans la critique.

8) La prose romanesque ne serait pas aussi éclectique qu’elle y paraît ou qu’on le dit : « …il semble bien que la diversité de la prose romanesque récente ne gêne pas les conclusions plutôt uniformes des exercices de rétrospective. » (35)