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PATERSON, Janet (1993), Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
REMARQUES TECHNIQUES (ponctuelles) :
- Ce titre me semblait un incontournable, même si, au fond, il s’attarde surtout à des études de cas et reprend inlassablement les mêmes exemples (effet de collage d’articles divers, sans doute).
- Dans cet ouvrage, toutefois, Paterson ne se questionne pas à savoir s’il existe bel et bien un roman postmoderne québécois, mais elle prend pour acquis qu’il existe et en fait ressortir les paramètres ; elle cherche (mais de façon très ponctuelle) à voir si la théorie s’applique aisément au roman postmoderne québécois (ex : 97)
- Elle tente, plus spécifiquement, de comprendre ce phénomène alors même qu’il est en plein essor ; elle a donc une proximité historique avec celui-ci qui empêche de poser les grandes balises. Elle dira d’ailleurs dans un chapitre : « Il est tout à fait probable qu’avant la fin de notre siècle, le roman postmoderne sera considéré comme une convention littéraire dépassée. À ce moment là, on saura sans équivoque ce que fut le roman postmoderne tant au niveau des formes que du sens. On parlera, sans doute, de cette esthétique comme on parle aujourd’hui du surréalisme ou même du nouveau roman. » (93)
- Paterson s’intéresse d’abord à la notion de postmoderne qu’elle tente d’expliquer. Selon elle, la raison fondamentale permettant d’expliquer que le terme et la notion aient été débattus plus tardivement par la critique au Québec (à partir des années 1980) est la suivante : « Il est pour tout dire difficile de parler de postmoderne en l’absence d’une tradition dite moderne. Au Québec, moderne et modernité ne désignent pas, comme dans le contexte anglo-américain, une période littéraire bien délimitée. Il s’agit, au contraire, de mots élastiques utilisés généralement pour désigner soit une partie du vingtième siècle, soit des pratiques avant-gardistes. » (2-3)
- L’absence d’une théorie explicative n’empêcherait pas, toutefois, que la chose existe (!!) puisque les romans étudiés couvrent la période 1968-1984, il s’agit de Trou de mémoire d’Hubert Aquin (1968), D’Amour P.Q. de Jacques Godbout (1972), Le Semestre de Gérard Bessette (1979), La vie en prose de Yolande Villemaire (1980) et La Maison Trestler ou le 8e jour d’Amérique de Madeleine Ouellette-Michalska (1984). Titres qui, on l’aura remarqué, reviennent souvent pour désigner le contemporain au Québec ou, à tout le moins, expliquer son avènement.
- Sur le rapport entre postmoderne et contemporain, Paterson écrit – dans son premier chapitre servant à expliquer, entre autres, les différences entre « postmoderne » et les notions voisines – : « Enfin, il ne faut pas non plus confondre postmoderne avec moderne ou contemporain. On s’accorde généralement pour dire que la rubrique littérature contemporaine englobe toute la littérature d’après-guerre, y compris le postmoderne. Dans ce cas, il s’agit véritablement d’une désignation temporelle et non pas typologique. Le terme “moderne”, par contre, semble échapper à toute tentative de définition […]. Ce mot se caractérise par une élasticité des plus étonnantes : tantôt il désigne une partie du vingtième siècle (en général, la période depuis la guerre), tantôt tout le vingtième siècle et tantôt les dix-neuvième et vingtième siècles. Et si, face à ce flottement notionnel, il est permis de dire que le roman postmoderne s’insère dans la modernité (au sens le plus large du terme), il est important de rappeler qu’il se distingue, par une poétique qui lui est propre, du roman dit moderne. » (14) Donc, pour résumer : 1) « postmoderne » n’égale pas « contemporain » et vice-versa ; 2) sa conception du « contemporain » ne se limite pas au Québec (littérature d’après-guerre ?) ; 3) le « contemporain », selon elle, n’est qu’un repère temporel où s’inscrit diverses esthétiques ; 4) le roman postmoderne appartient à la modernité au sens large mais se distingue du roman moderne.
- Après avoir décrit les différentes définitions du postmoderne, Paterson prend position : « Dans le présent ouvrage, j’utilise le concept de postmodernisme en m’inspirant surtout des propos de Lyotard parce que ceux-ci décrivent de la façon la plus probante, à mon avis, le phénomène postmoderne tel qu’il se révèle dans le roman québécois. En effet, comme nous le verrons plus loin, les notions lyotardiennes d’incrédulité à l’égard des métarécits, de crise de légitimation et d’hétérogénéité se manifestent avec puissance et insistance dans certains romans postmodernes québécois. » (16, je souligne)
- Je ne retiens pas ici les différentes analyses des différents romans. Si chacun d’eux est représentatif d’un ensemble plus vaste, ils semblent surtout problématiser chacun un élément particulier de l’imaginaire postmoderne, ce que les titres des différents chapitres annoncent bien : « Le discours en question : Trou de mémoire » ; « Le procès de l’Histoire : La Maison Trestler » ; « Intertextualité dans Le Semestre » ; « Le postmoderne au féminin : La vie en prose » ; « Écriture et jouissance : D’Amour P.Q ». Dès lors, l’auteur n’offre pas véritablement de synthèse de ce que serait le roman postmoderne québécois, mais présente différents portraits. On peut, bien sûr, s’attendre à ce que la conclusion serve à cela et, effectivement, Paterson tente de situer ses œuvres mais s’attarde surtout à expliquer le rapport entre théorie et fiction dans l’écriture postmoderne.
REMARQUES GÉNÉRALES (synthèses) :
- Un des aspects dominants de ce livre est qu’il tente d’inscrire la littérature québécoise dans un mouvement plus large, soit le postmoderne, mouvement qui touche l’ensemble de la littérature. D’emblée, dans l’introduction, l’auteur le souligne : « Imaginons, par ailleurs, une exposition mondiale de la littérature postmoderne. Le roman québécois y trouverait-il une place ? Selon quelle puissance d’inscription ? À partir de quelles modalités d’écriture ? » (1) En cela, il semble un peu « en avance » sur sa période (du moins, si je maintiens mon hypothèse des trois générations)
- Le tournant que constitue les années 1980 : sur cette question, cet ouvrage marque aussi sa différence par rapport à d’autres examinés auparavant, mais vient corroborer mon doute quant à la relativité de la mise en place des jalons historiques de 1980 à nos jours qui ne sont apparus, il me semble, que dans les années 2000. Si, dans l’introduction, l’auteur donne l’année 1979 comme étant une date charnière dans l’histoire de l’esthétique postmoderne au Québec – puisqu’elle correspond à l’édition, au Québec, du livre La condition postmoderne de Lyotard –, elle date l’avènement du postmoderne avec les bouleversements consécutifs de la Révolution tranquille :
« Les dieux ont chaviré : voilà une autre façon de décrire la condition postmoderne. Aussi les formes iconoclastes dans les romans postmodernes québécois s’inscrivent-elles clairement dans les mouvements de rupture et de remise en question qui caractérisent, à différents degrés, la société québécoise depuis les années soixante. Peut-on, à cet égard, remettre en question la signification de la rupture des codes d’écriture dans une société où longtemps les codes figés traduisaient une impuissance à modifier certaines idéologies ? Est-il nécessaire de souligner l’importance des jeux de langage et de l’intertextualité dans une tradition littéraire où, comme dans beaucoup d’autres, la parole se croyait unitaire et monolithique ? D’autres critiques s’attacheront peut-être, à l’avenir, à décrire la postmodernité socio-culturelle de certains romans québécois. Mais puisque le but de cet ouvrage est d’en examiner les stratégies d’écriture, il suffit de rappeler que le roman québécois étant issu d’une société qui a vécu une véritable révolution de la pensée, il n’est pas étonnant qu’il fasse éclater les discours dominants et l’ordre des certitudes. » (17, je souligne)
« Aussi l’omniprésence de la figure des auteurs écrivains et écrivaines dans le roman québécois postmoderne depuis 1960 est-elle lourde de signification et de conséquences. Plutôt que d’assurer la mort de l’auteur, ces romans ne cessent d’en assurer la position dans l’écriture. » (99)
« Il ne faut pas oublier qu’à l’exemple d’autres textes postmodernes québécois, D’Amour P.Q., produit, par ses stratégies ludiques, une rupture avec la majorité des romans qui précèdent les années soixante, où l’impossibilité de modifier les codes littéraires se traduit souvent sur le plan thématique par l’expression d’une impuissance existentielle (par exemple : Trente arpents, Bonheur d’occasion) » (108)
Il faut donc relativiser : le roman postmoderne apparaît dans les années 1960 (et Hubert Aquin en est la plus importante figure), mais la critique s’intéresse et décrit ce phénomène seulement après 1980. Qui plus est, c’est son émergence qui constituerait un moment charnière dans la littérature québécoise : « Si, au bout du compte, le mot postmoderne demeure flottant, ambiguë, souvent problématique, la littérature qu’il désigne au Québec correspond incontestablement à un moment d’épanouissement dans l’évolution du roman. » (113)
Comment ce titre s’inscrit-il en accord ou en désaccord avec mes hypothèses ?
Si je m’en tiens à mon hypothèse de départ, cet ouvrage appartient à la première génération de critiques qui tentent de comprendre le contemporain. En cela, il pose certes un regard en continue sur un phénomène particulier qui caractérise la littérature québécoise, mais ne remarque aucun changement significatif à partir de 1980. Toutes les œuvres, peu importe leur date de publication, s’inscrivent de manière directe dans le mouvement postmoderne.
Sous bien des rapports, et notamment sur la volonté de théoriser l’objet d’étude, ce titre s’inscrit davantage dans la façon de faire de la deuxième génération et emprunte même – par une volonté d’inscrire la littérature québécoise dans la littérature universelle – à la troisième génération.
Tout cela n’invalide pas totalement mes hypothèses. Ce titre était certes un incontournable, mais ne se présentait pas comme un panorama ni dans un désir de théorisation du contemporain, ni dans son expression la plus large, ni même dans son sens « d’après 1980 ». Il me fournit, en tout cas, d’autres points de repère.