NOTES TECHNIQUES :
o Lecture en diagonale seulement pour voir les éléments touchant le contemporain. J’ai lu la partie « Le roman postmoderne » dans le chapitre historique (41-45) ; « Du vérisme de Parti pris au roman postmoderne » (157-168) ; « Le voyage américain de Volkswagen Blues : du texte au sexe » (257-273) ; « Vues de la chambre : de Valriant à Griffin Creek » (379-423) ; les conclusions des différentes parties et chapitres.
o Il s’agit d’un portrait d’ensemble du roman québécois, depuis ses origines jusqu’au milieu des années 1980. Allard s’attarde peu au roman contemporain dans la mesure, peut-être, où il l’a fait dans Le Roman mauve.
o Note : l’ouvrage semble mal découpé ; on dirait une erreur dans la table des matières et la topographie de l’ouvrage, ce qui rend l’ensemble du propos et la progression de l’argumentation difficile à suivre. Cela donne l’impression d’un manque d’unité et de cohérence .
NOTES GÉNÉRALES :
o Cet ouvrage se construit sur le principe d’une lecture en continue de l’évolution du roman, à partir de thématiques particulières (les discours de l’autre, de la cité et de la chambre) – ce qui rejoint la façon de faire de Nepveu (1989), voire même de Dion (1997). Dans cette optique, serions-nous amené à repenser notre hypothèse, à savoir qu’il n’y a pas des « générations », mais différentes manières d’aborder le contemporain ? De celle dont l’ouvrage d’Allard témoigne, la perspective contemporaine serait incontournable dans la mesure où, voulant faire un portrait d’ensemble d’une littérature, il faut trouver une explication logique, une sorte de thématique dont on peut lire l’histoire de façon chronologique et qui aboutit dans le présent. La question resterait chaque fois de déterminer de quel côté naît ce désir : d’une volonté d’expliquer le présent ou d’un intérêt pour une production antérieure ?
o Allard adhère au principe que la littérature québécoise fait maintenant partie de la littérature mondiale, que c’est ainsi qu’elle doit être lue et étudiée (il opte pour le parti d’un certain éloignement de la référence française). Se faisant, il s’inscrit (de façon affichée) dans le même mouvement que le collectif « Littératures narratives contemporaines » (qui lui l’affiche moins ouvertement). Cependant, il prescrit aussi à ce roman ce qu’il doit faire pour devenir véritablement autonome : « Il lui reste sans doute à pousser plus loin son récit de l’aventure humaine contemporaine, à raconter, plus que l’introspection, l’action, la transformation en cours du monde. Au fond, à entrer en concurrence réelle avec toute la littérature contemporaine. » (45)
o Peu de ruptures sont soulignées avec la date charnière de 1980 (à l’exception de l’émergence du genre de la nouvelle, de la nouvelle façon d’envisager l’espace américain, de la prolifération d’une prose plus autobiographique), ce qui peut étonner dans une certaine mesure, puisque l’ouvrage a été publié en 2000… Mais il faut plutôt y voir là l’occasion pour nous d’une remise en question de la rupture que constitue 1980, qui ne serait pas une donnée admise par tous les théoriciens. Sur cet aspect de l’étude d’Allard, on ne peut bien sûr que spéculer : non-reconnaissance de cette ligne médiane dans la littérature québécoise (donc, lecture différente) ou non pertinente dans l’étude du seul roman, comme le fait Allard ? [On retrouvera des éléments plus bas]
AVANT-PROPOS :
Après avoir expliqué que, malgré sa formation en littérature française, il a toujours été attiré par la littérature québécoise, il explique : « Quoi qu’il en soit, ce livre est né du très grand plaisir que j’ai toujours eu à lire le Québec romanesque et à le faire connaître. Présenter ainsi mon ouvrage doit témoigner un peu de l’état actuel de la réception qui est faite à notre littérature. Je n’aurais sans doute pas besoin de la défendre sur son propre territoire, si sa lecture allait de soi. Après une quarantaine d’années de patient travail, ma génération aimerait sans doute se flatter d’avoir légitimé l’étude de cette nouvelle littérature du monde occidental. Je l’ai déjà fait dans Traverses/De la critique littéraire au Québec. » [Pourrais-je remarquer d’abord la construction syntaxique ambiguë ( ?) : « Je l’ai déjà fait… » : « Se flatter d’avoir légitimé… » ? et le flou qui rend le propos difficile à analyser]
- Il participerait donc, lui aussi, à ce mouvement de relecture du corpus québécois permettant sa légitimation puis, finalement, son inscription en tant que « nouvelle littérature du monde occidental ».
Dans cet Avant-propos, Allard déplore l’inféodation de la littérature québécoise à la littérature française (perceptible dans la réception populaire et dans la structure imposée par le gouvernement en matière d’éducation), en dépit justement des efforts de sa génération afin d’en faire émerger le caractère original.
L’ouvrage est divisé en 3 parties, réparties de façon non proportionnelle : 1) Brève histoire 2) Les Perspectives 3) Lectures
Allard décrit ensuite les grandes lignes de sa méthodologie, nommée « topocritique » (18-21).
PARTIE I : BRÈVE HISTOIRE [voir photocopies]
Cette partie (la plus courte de tout l’ouvrage) est ordonnée selon la typologie suivante : « le roman (ou récit) primitif (1534-1904), le moderne (1904-1965), le postmoderne (1965-2000) ».
- La partie couvrant le « roman postmoderne » est très courte (comme les deux autres, d’ailleurs) et accorde la primauté au Prochain épisode d’Hubert Aquin. Le reste est essentiellement énumération de titres des années 1970 qui s’inscrivent dans le sillage aquinien : « Le ludisme ou l’inventivité de ce roman nouveau continuera dans les années 70 avec ces ouvrages hors du commun : […] ». Les représentants des années 1980 sont les romans populaires et/ou historique : « On voit bientôt les retombées de toutes ces avancées, cette fois dans le roman populaire comme en témoignent […] » (42)
- Allard n’accentue guère ici la rupture des années 1980 ; il parlera de ce passage plutôt comme celui du début de la période des acquis : « C’est que, dorénavant, on n’a plus guère à prouver sa capacité : on peut miser sur l’acquis et travailler. On le dirait tout autant, sinon plus encore[,] pour la production des années 90 où l’accessibilité devient un must pendant que l’expérimentation est reléguée au dernier plan. Outre un narcissisme assez prononcé, une veine néo-réaliste s’étale, de plus en plus visible, le tout bénéficiant de l’éducation faite du lecteur par toute la littérature contemporaine dont participe maintenant l’écrivain du Québec. » (43)
Il ramène ensuite la question du roman mauve, mais sans donner la moindre explication : « Au moment de clore cet aperçu sur le roman nouveau dit québécois, on voudra bien revenir au type mauve déjà signalé comme pouvant désigner les parutions récentes. On se rappellera de même que le personnage de l’écrivain n’est plus aussi théoricien que celui de Prochain épisode, mais qu’il est resté le chercheur de formes et de sens qu’on a vu ensuite dans […] » (43)
Il souligne le « développement extraordinaire de la nouvelle depuis les années 1980 ». (44) Remarque l’importance « des différents récits populaires, historiques ou familiaux (sagas) ou biographiques […] » (44), l’importance de la littérature jeunesse, les progrès de l’édition et de l’institution québécoise et insiste sur l’absence de reconnaissance populaire, le lectorat préférant « souvent la littérature française ou étrangère traduite en France) ». (44) Il revient d’ailleurs longuement sur cet aspect en fermeture de son AP, reprochant subtilement au roman actuel de « ne pas travailler assez » à se gagner le public. Il conclut : « Il lui reste sans doute à pousser plus loin son récit de l’aventure humaine contemporaine, à raconter, plus que l’introspection, l’action, la transformation en cours du monde. Au fond, à entrer en concurrence réelle avec toute la littérature contemporaine. » (45)
PARTIE II : PERSPECTIVES
Ces perspectives « portent sur la venue de la modernité dans la première moitié du XXe siècle, avec le réalisme social et bientôt le réalisme intérieur pour aboutir à la nouvelle modernité, appelée aussi postmodernité, où se pratiquent et s’emmêlent toutes les formes de l’illusion réaliste mises au point depuis le XIXe siècle, mais aussi celles des autres genres littéraires qui réinvestissent la forme romanesque elle-même. On ira grosso modo d’un récit carnavalesque de 1904, intitulé Marie Calumet, à Prochain épisode, une “improvisation” de 1964, en passant par bien d’autres exemples textuels, dont ceux des années 1950 et de l’école de Parti pris. La réflexion s’arrêtera aussi à l’imagination que l’on a de la métropole. » (15, extrait de l’Avant-propos)
Dans cette partie, Allard s’intéresse à la toute fin au « roman postmoderne » dans « Du vérisme de Parti pris au roman postmoderne », mais pas aux œuvres d’après 1980.
PARTIE III : LECTURES
« Quant aux lectures, qui vont des Anciens Canadiens aux Fous de Bassan, elles portent sur des œuvres emblématiques pour les discours de la Cité et de la Chambre. J’ai longtemps projeté un ouvrage qui se serait appelé Le Ciel, la Cité, la Chambre, faisant ainsi le tour de la tresse des discours fondateurs de notre expression : les discours religieux, politiques et amoureux. Selon mon intuition de lecteur, ils travaillent les fictions du Québec, de façon toujours croisée, interdépendante, mais avec des dominantes d’époque, dans l’ordre que j’ai utilisé pour les nommer. J’ai même pensé que ce modèle pouvait être commode pour comprendre la naissance de l’expression littéraire (et de son acteur écrivain), tant l’expérience québécoise semble ici riche d’enseignement. » (15-16, extrait de l’Avant-propos)
Dans « Le voyage américain de Volkswagen Blues : du texte au sexe » = - « La représentation ambiguë, états-unienne et parfois continentale, a donc beaucoup changé du début à la fin du XXe siècle. L’exil économique et culturel qui a donné naissance à des millions d’États-uniens d’origine franco-canadienne a fait place à une nouvelle image, mais aussi à un rapport nouveau à l’espace américain, à son économie, ses langues et ses cultures. Ce que donne à lire de façon bien explicite la fiction récente. » (258-259, je souligne) - Remarquons, bien sûr, la présence toujours déterminante de ce roman de Poulin pour comprendre non seulement la littérature contemporaine mais toute l’évolution du roman québécois : « C’est dans cette perspective que l’on doit revisiter le roman repère que demeure indéniablement Volkswagen Blues de Jacques Poulin, si l’on veut dessiner le nouveau départ que connaît l’idée américaine depuis 1980. » (259-260)
Suite à une analyse de l’œuvre bessetienne, il élargira ses vues pour les étendre à une esthétique du roman contemporain (qui serait héritière de ?) : « Le bonheur sera donc dans le texte, et le plaisir dont il témoignera au-delà [sic] de toutes les inquiétudes. Ce sera le bonheur des récits narcissiques qui, au Québec comme ailleurs, sont venus nombreux depuis 1980. Et que lire donc dans ce phénomène : un effet de tendance ? Ce pourrait être, pour cette jeune littérature, une marque d’affranchissement : après un bon siècle d’apprentissage, elle en serait venue aux plaisirs de l’autoréférence. Aux agréments que procure le dire de l’expérience d’ici, personnelle et collective, comme la rentabilisation d’une possession, sa jouissance, tout cela qui indique l’autonomisation d’une expression, un bon plaisir littéraire. La plaisance vue comme le plaisir et l’aisance qui viennent indéniablement dans la seconde moitié du XXe siècle, au bout d’une assez longue navigation entre le Ciel et la Cité. Une poétique du plaisir romanesque. » (332-333)
VUES DE LA CHAMBRE : DE VALRIANT À GRIFFIN CREEK
Dans cette partie, nous avons un modèle de l’explication de certains phénomènes de la littérature contemporaine qui passe par l’étude en continue d’un phénomène particulier. Ici, la construction du discours amoureux à travers le roman. Allard passe en revue différents romans, à commencer par Angéline de Montbrun puis d’autres. Le seul roman contemporain est le dernier de la chaîne, soit Les fous de Bassan d’Anne Hébert (1982) qui devient emblématique du roman postmoderne : « Dans un premier temps, nous irons du monde ultra catholique de l’écrivaine de la Malbaie (1845-1924) à celui progressiste de Robert Charbonneau, l’animateur de La Relève (une revue catholique des années 30 et 40). Après avoir observé ce qui, à mi-chemin, pouvait se produire dans la narrativité amoureuse, on séjournera enfin chez la cousine de Saint-Denys Garneau, jadis proche, elle aussi, de La Relève. Après les discours encore respectueux de Conan et Charbonneau, Les Fous de Bassan, d’Anne Hébert, constitueront une impitoyable critique du creuset traditionnel. Et ils conduiront, par une synthèse très riche de l’argumentaire et des formes développés à travers le temps, jusqu’aux œuvres récentes, à l’aube du XXIe siècle. Dans cette dernière partie des “Lectures”, on verra aussi le discours de la chambre ramener certains thèmes de l’atelier, indiquant à nouveau que les discours intimes passent aisément des amours humaines à l’amour de l’art, comme si, pour les écrivains, écrire n’allait jamais sans aimer, et aimer, jamais sans écrire. Même en des temps où la voix personnelle n’était guère reconnue. On a d’ailleurs déjà vu ces rapports du sentiment et du livre aller jusqu’à la métaphore corporelle du texte. On y est arrivé aussi en suivant la topographie narrative du voyage américain dans Volkswagen Blues. On partira cette fois du discours amoureux lui-même pour débusquer d’autres jeux où l’émotion de la chambre paraît se cacher, toujours derrière le règne de l’idée, du ciel ou de la cité, avant de devenir un des traits affichés de la modernité. » (380)
Allard, par cette étude particulière, met en relief un phénomène assez contemporain (ou, du moins, dont on se préoccupe fortement dans la période contemporaine), soit la présence très forte dans la littérature de la représentation de l’écrivain : « Comme on le constate d’Angéline à Fontile, le programme qui gouverne le discours amoureux conduit à lui soumettre le religieux et le politique. Il est aussi apparu que le modèle chrétien de l’Amour Sauveur, en opposition à l’amour pécheur, subit dès le départ une déviation esthétique. En fait, au dessein divin ou céleste ne s’oppose pas tant le dessein humain ou terrestre des acteurs, poussés au-devant de la scène romanesque, que le dessein artistique, précisément celui de l’écrivain et de son œuvre à mettre en valeur. C’est ainsi que la difficulté sinon l’impossibilité anecdotique du dire amoureux se trouve transformée en une déclaration esthétique. À défaut de pouvoir faire dire “je t’aime” aux acteurs, l’instance narrative ne cesse de déclarer son inclination pour le récit lui-même, donnant une place péremptoire à la voix personnelle de l’écrivain sinon à la mise en abyme de la production textuelle. Le récit amoureux se donne à lire comme amoureux de lui-même, comme si, historiquement parlant, l’expression littéraire maîtrisait d’abord son propre discours, celui du moi artiste, à défaut de pouvoir narrer un “nous” intime. » (402-403)
Anne Hébert – et toute son œuvre – devient emblématique des différents courants et esthétiques du roman québécois : « Chez elle, le roman du Québec passe effectivement du type canadien au type postmoderne. » (420) Si Aquin et Bessette se joignent à elle pour « compose[r] le trio des grands aînés pour l’invention des formes et des discours postmodernes » (421), c’est elle qui, selon Allard, représente la quintessence du roman québécois. Il nuancera cependant en fin de livre, mêlant conclusion générale et conclusion sur Les Fous de Bassan : « Évoquer ainsi quelques aspects du chemin parcouru, conduit à la question de l’après : que peut-on en augurer pour la suite ? Je l’ai abordée au début, en faisant une brève histoire du roman. Mais du pont de vue de l’œuvre hébertienne, il est évident que, si elle ne saurait résumer ou synthétiser en détail le mouvement contemporain, elle ne saurait non plus tout annoncer. Par exemple, sa vision poétique (fantastique aussi bien que fantasmatique) se prive nécessairement de ce que met en relief un réalisme plutôt social, même s’il n’est plus aussi descriptif qu’autrefois. Je pense aux récits si riches et parfois si décapants d’André Brochu : La Croix du Nord (1991) ou Adèle intime (1996). Il en va de même pour le nouvel humour mis en place depuis Ducharme ou le recommencement du discours amoureux et familial, tous phénomènes que j’ai déjà signalés. Pourtant, l’humour hébertien, où jouent sortilèges et sacrilèges, restera en mémoire avec la passion tragique qui fonde son écriture. On aura aussi à l’esprit l’américanité des sujets et des paysages d’une œuvre où demeurent l’attachement à la France, une fidélité à la langue autant qu’au pays d’origine. En ce sens, on devra convenir que cette œuvre majeure résume ainsi à sa manière la trajectoire suivie par le roman d’ici, depuis son canevas canadien jusqu’à sa poétique moderne. » (423, je souligne)