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Voix et Images_1982-1987_Jacques Michon et al.

PORTRAIT D’UNE CHRONIQUE OU D’UN CHRONIQUEUR

Genre(s) (littéraires ou autres) auxquels la revue consacre des « chroniques » :

Période 1982-1988 : J’ai commencé la recherche avec le numéro du printemps 1980. À cette époque, les chroniques sont présentes mais ne sont pas structurées (ex : « cinéma, musée, théâtre, essai, idées » pour vol. V, no 3; « essai, théâtre, poésie, roman » pour vol. VI, no 1; ou encore « jeunesse », etc.). Elles se structurent plutôt autour d’une idée, de divers sujets inspirés de l’actualité, de rééditions, etc., et les chroniqueurs ne sont pas attitrés. À partir de printemps 1982 (vol. VII, no 3), elles se structurent tranquillement, mais on y retrouve des chroniques « arts » et « cinéma » qui sont appelées à disparaitre par la suite. La première véritable chronique « roman » est signée par André Vanasse, « De la marginalité » et porte sur 5 romans. Signalons également que le chronique « théâtre » se transformera en « dramaturgie » quelque part autour de 1985.

A) Informations générales

Nom de la chronique : « Roman » (parfois « Récits »)

Durée de la chronique : période 1982-1988 qui se caractérise par la diversité des chroniqueurs pour cette rubrique. Pierre Hébert devient chroniqueur régulier à partir de 1986, date à laquelle il signe sa première chronique. Je lui ai consacré une fiche complète.

Nom du chroniqueur : (par ordre d’apparition)

Statut institutionnel du chroniqueur : Professeurs d’université ou du collégial.

Forme de la chronique (consacrée à quel genre? Fait-elle quelques lignes ou quelques pages ? Y’a-t-il plusieurs livres dans la même chroniques? Etc.) :

Roman, récits et nouvelles. Quelques pages. Une chronique peut être consacrée à un seul livre ou à plusieurs. Généralement, ce sont les chroniqueurs plus réguliers qui vont se consacrer à plusieurs livres dans la même chronique, sinon, les chroniqueurs ponctuels le font généralement pour parler d’une seule œuvre. Notons également la présence des chroniques « roman » au féminin mais qui ne s’annoncent pas telles – leur point commun étant de parler de romans écrits par des femmes. Ici, ce sont les chroniques tenues par Patricia Smart – dont Louise Dupré prendra la relève 2 fois par la suite, avant de laisser sa place à Lucie Lequin pour la « 3e période », celle de Chassay et Biron. Cet ancrage thématique des textes de Smart et de Dupré empêche toute lecture du contemporain.

Place de la chronique dans l’économie globale de la revue : À cette époque, la chronique « roman » est moins importante que la chronique essai. Elle ne revient pas systématiquement à tous les numéros au début mais s’impose peu à peu comme la deuxième chronique en importance (avec parfois deux entrées, alors que « poésie » et « dramaturgie » se limitent toujours à une entrée)

Événements littéraires québécois mentionnés : à part quelques remarques sur des événements littéraires liés à la SF pour Michel Lord ou à l’importance grandissante des maisons d’édition consacrées à la nouvelle, les événements littéraires sont absents de la chronique.

B) Informations métacritiques

Posture générale du critique (ton, point de vue, etc.) : Les divers chroniqueurs sont plutôt positifs et se contentent de commenter les œuvres qu’ils ont entre les mains, sans établir de plus larges réflexions, à quelques exceptions près (voir entrée suivante). Généralement, ils font ressortir le bon et le mauvais côtés de chacun des livres, donnant en cela une impression d’objectivité et de professionnalisme. Seulement, l’analyse proposée va plus loin que dans la presse. Ce sont avant tout des « lecteurs savants ».

Réflexions générales sur la littérature québécoise contemporaine :

o Gaëtan Lévesque, « Regards lucides sur la société », Voix et Images, vol. 8, n° 1, 1982, p. 154-158.

« En consultant les quotidiens, on se rend compte que la violence est de plus en plus présente dans notre société, tout comme la drogue. On n’a qu'à se promener sur la rue Saint-Denis pour se faire offrir du «pot» ou du «hasch», beau, bon, pas cher, «for a good trip», et constater que la drogue est à la portée de tous. Ces phénomènes n'échappent pas à nos écrivains et il n'est pas rare de retrouver, chez nos romanciers et nos romancières, une image de cette réalité. » (154) Les jeunes des années 80 sont au centre de trois romans : Marie-Claire Blais, Visions d’Anna ; Monique Larue, Les Faux-fuyants ; Noël Audet, Ah, l’amour l’amour.

Thème de la littérature, la fuite vers le sud : « II y a, dans la littérature québécoise, un thème qui n'est pas nouveau et que l'on retrouve régulièrement, la fuite vers le sud. Cette course à travers l'Amérique semble être un des seuls moyens dont disposent les héros de nos romans pour retrouver une identité qui leur échappe. » (157)

o Jacques Pelletier, « Reconnaissance du roman social? », Voix et Images, vol. 8, no 2, p. 371-378.

« Comme tout le monde j'aime lire pour le plaisir du texte comme disait l'autre : après tout, la littérature constitue une distraction, un moyen d'évasion — elle possède une incontestable dimension ludique : et pourquoi pas ? — mais elle se présente aussi comme un mode privilégié d'approche de la réalité et, l'analysant, ce qui me passionne d'abord en elle, ce sont justement les rapports qu'entretiennent l'imaginaire et le réel. À ce titre, les romans qui font l'objet de cette chronique sont particulièrement intéressants en ce qu'ils sont inspirés, de manière explicite ou implicite, par cette problématique qui se profile également derrière de nombreuses productions depuis un an ou deux si bien qu'on peut se demander si on n'assiste pas à une renaissance du roman social après une décennie dominée par diverses variantes du formalisme né de la conjoncture culturelle et littéraire au début des années 1970? » (371, je souligne)

Importance du projet politique chez les auteurs étudiés, mais échec du roman en tant qu’œuvre. Pelletier souhaite un « ‘cours nouveau’ dans notre littérature, le surgissement de préoccupations sociales qui lui ont fait cruellement défaut durant la dernière décennie. » (374)

Le roman Juré craché de Pierre Filion (1981) lui semble le type de roman réussit sur le plan social et littéraire.

o André Vanasse, « Le syndrome professoral », Voix et Images, vol. X, no 1, automne 1984, p. 163-168.

Littérature de plus en plus marquée, selon lui, par les professeurs-écrivains (avant c’était des figures de journalistes). « Ainsi les regroupements spontanés sont liés plus souvent qu’autrement aux possibilités d’emploi offertes à la jeunesse. » (164)

o Jacques Michon, « Heureux qui comme Ulysse… », Voix et Images, vol XI, no 1, automne 1985, p. 135-139.

Le voyage comme figure privilégiée de plusieurs romans venant de paraître : « Comme topos structurant du récit et lieu d'organisation de l'histoire, il constitue la trame narrative de plusieurs romans récents dont ceux de Michel Tremblay, Des nouvelles d'Edouard, de Louis Gauthier, Voyage en Irlande avec un parapluie, de Jacques Lavoie, les Portes tournantes et de Jacques Poulin, Volkswagen blues. » (135) « Le trajet particulier et irréductible d'un sujet le long d'un chemin favorise cette sommation de l'hétérogène et du divers dans un projet métaphysique ou éthique qui va emprunter au réel et aux hasards de la route ses aspects contingents. » (138)

o Jacques Michon, « Professeurs et autodidactes », Voix et Images, vol. XI, no 2, hiver 1986 (32), p. 564-569.

Passage d’un personnage d’écrivain autodidacte à, dans les années 1980, un personnage de professeur. Il aborde toutefois deux romans d’autodidacte et 2 romans de professeurs.

Définition des enjeux des deux types de personnages : « André Belleau nous a montré que l'écrivain est un personnage considérable dans l'univers romanesque québécois depuis les années quarante. Mais alors que l'écrivain fictif d'hier était surtout un autodidacte (voir Denis Boucher, Galarneau, Jean-le-Maigre), celui des années quatre-vingt est souvent un professeur. Les romans récents de Victor-Lévy Beaulieu, Steven le hérault, et de Daniel Gagnon, Une fille à marier, poursuivent en ce sens la tradition québécoise du personnage autodidacte, alors que les récits de René Lapierre, l'Été Rebecca et de Jacques Brault, Agonie, nous introduisent dans l'univers de l'écrivain académique. / L'autodidacte est le plus souvent en conflit avec son milieu qui le tire vers le bas et avec lequel il voudrait bien se réconcilier mais sans renoncer aux valeurs qu'il s'est données par la fréquentation des grands auteurs, alors que, à l'inverse, l'écrivain académique, à l'aise dans la culture légitimée, aperçoit l'envers de cette grandeur qui pour lui n'a plus de mystère et ne nourrit plus ses rêves. D'un côté, la force sauvage d'un sujet qui va accéder au langage, de l'autre, l'univers du professionnel qui ayant épuisé les prestiges du verbe revient vers l'existence et se dirige vers la mort sans illusion. Abel Beauchemin et Jeanne Després appartiendraient à la première catégorie de personnages, alors que les héros de Lapierre et de Brault s'apparenteraient davantage à la deuxième. » (564)

Revient en conclusion sur les différences entre les deux types : « Le détachement, la grisaille et le réalisme analytique qui caractérisent les récits de Lapierre et Brault sont étrangers au roman de l'autodidacte qui exprime avec plus d'âpreté et de force sauvage le conflit entre l'être et le monde. Alors que chez celui-ci, c'est le statut même du langage et de la communication qui est mis en cause, dans tout ce que cela comporte de risque et de danger pour la raison, chez le personnage académique, plus proche d'un conflit de type névrotique ou oedipien, c'est, au contraire, la réalité incontournable qui triomphe. Le premier nie et refuse le réel au risque de devenir fou, le second l'accepte et lui donne raison contre soi-même. Ce sont là, sans doute, deux attitudes fondamentales, deux tentations que le roman québécois de ces dernières années illustre de multiples façons et qui dépassent de beaucoup l'opposition que nous établissons entre professeurs et autodidactes. » (568-569, je souligne)

o Marcelle Fontaine, « Best-Sellers : De l’amour, des crimes et du suspense », Voix et Images, vol. XII, no 1, automne 1986 (34), p. 152-154.

Constat d’une plus grande place des best-sellers dans le discours critique, d’autant plus que des auteurs québécois s’y adonnent.

o Jacques Michon, « Les enfants du déclin », Voix et Images, vol. XII, no 2, hiver 1987 (35), p. 331-334.

« Chaque fin de siècle apporte ses discours annonciateurs de décadence. » (331) « L’effondrement des idéologies communautaires, la crise des valeurs et des solutions collectives, la déprime post-référendaire ont favorisé la représentation d’individualités fortes et conquérantes dans la littérature romanesque récente. » (331)

o Dominique Garand, « Des contes et des nouvelles pour rêver », Voix et Images, vol. XII, no 3, printemps 1987 (36), p. 551-555.

Chronique sur la nouvelle comme genre de plus en plus valorisé.

Hypothèse qu’il s’agit d’un lieu d’apprentissage pour jeunes écrivains. Contrairement aux É-U, il n’y a pas d’écrivains professionnels qui s’y adonnent parce que ce n’est pas du tout lucratif ici, aucune revue à grand tirage n’en publie.

Retour du récit : « On peut enfin, à titre d'hypothèse seulement, relier l'émergence du récit court à l'effritement de la modernité. J'observe en effet, dans ce flot de nouvelles et de contes, un retrait massif des questionnements formels et idéologiques qui avaient cours il n'y a pas si longtemps : on renoue volontiers avec la narration de type traditionnel, avec les effets de fiction les plus classiques, avec une conception esthétisante de la forme, comme si le désir était de faire enfin de «vraies» oeuvres d'imagination, de vraies histoires avec personnages et intrigue. L'heure est à l'humilité, à l'apprentissage patient du travail d'écriture. » (551)

o Jacques Michon, « Couples », Voix et Images, vol. XIII, no 1, automne 1987 (37), p. 189-192.

Désengagement des écrivains qui se sentent floués et, entre autres, réclament un salaire, ce qui a aussi une répercussion sur les œuvres qui ne sont plus centrées sur le Québec : « Pourquoi s'indigner devant les revendications des artistes qui réclament aujourd'hui un salaire? Aussi longtemps qu'ils ont servi une cause que la collectivité semblait partager et soutenir, les artistes ne réclamaient rien pour eux-mêmes. Le jour où ils ont eu le sentiment d'être floués, que leur travail ne servait qu'à enrichir les épiciers de la culture, ils ont réclamé leurs gages. Qui dira le nombre d'exemplaires de tel roman ou de tel essai philosophique envoyés au pilon ou soldés alors que l'éditeur avait touché sa prime du Conseil des Arts? Pourquoi appeler «droit d'auteur» une loi qui protège en fait les intérêts des entrepreneurs? Pourquoi les artistes ne se constitueraient pas en syndicat et en groupe de pression pour réclamer leur part de l'assiette fiscale? On comprend pourquoi l'auteur abandonne progressivement l'étiquette nationale pour faire valoir tout simplement ses droits de citoyen. Il s'agit d'assumer l'art, la littérature, comme une pratique autonome sans attache politique ni devoir patriotique. L'économie et le lieu de travail deviennent les dénominateurs communs du rassemblement. Débarrassés de cette illusion prolongée suivant laquelle les intérêts de l'artiste coïncident avec ceux d'un parti ou d'une collectivité, les écrivains écrivent. Ce changement progressif de stratégie se répercute en surface dans les titres, les personnages et les lieux des récits qui ne véhiculent plus nécessairement les signes de la québécité. Sous la pression combinée des événements et des visées commerciales des éditeurs, on préfère les signes et les mythes de l'américanité, les grandes sagas exotiques et les drames personnels. Le roman qui s'alimente à la rumeur publique, se pare des prestiges du voyage et de l'actualité. Tremblay déménage à Outremont qui pourrait être une banlieue de San Francisco, Pierre Nepveu nous transporte à Vancouver, et un jeune écrivain, Sylvain Trudel, se laisse porter par le souffle de l'Harmattan, qui, comme chacun sait, est un vent d'Afrique occidentale. » (189, je souligne)

o Allan Walsh, « Le roman historique : une lecture ‘nourrissante’ ? », Voix et Images, vol. XIII, no 3 (39), printemps 1988, p. 499-503.

Sur le renouveau populaire du roman historique. Se demande s’il possède une véritable valeur esthétique. Décline 3 romans qui ont trois rapports différents avec la littérature et l’histoire.

Élection de certaines œuvres ou certains écrivains : Non, cependant, on sent déjà, dans la réception immédiate, qu’elles sont les œuvres plus fortes (ex : Le souffle de l’Harmattan, La rage de Louis Hamelin, les romans de Jacques Poulin, Le désert mauve, Vamp, etc.). Certains romans, jugés très bons, passent toutefois à la trappe de l’histoire littéraire… Je pense au Festin de pierre de Jacques Folch-Ribas.

Valorisation de lieux éditoriaux : non

Valorisation d’événements littéraires : non

Valorisation d’esthétique(s) particulière(s) : non. Dans les constats généraux, ce qu’on remarque le plus, c’est le retrait du formalisme, le retour au récit, le passage des personnages écrivains à des personnages professeurs, l’arrivée d’une certaine relève. Bref, on sent que quelque chose d’autre se met en place, qu’il y a une transition, mais ça reste flou.

Autres valeurs ou enjeux défendus : Autres remarques :

Lecteur/lectrice : _Manon Auger_