Lionel Ruffel, Le dénouement, Paris, Verdier (Chaoïd), 2005. [Josée Marcotte]
Le dénouement - la table des matières
«un livre-monde, un livre-monstre» (61) ;
«oeuvres-mondes» (61) ; «romans-mondes» (62) ; il est intéressant de noter le pluriel de cette appellation…
«romans de l'excès» (62) ; «dérèglement du texte» (63) ; «romans du dénouement» qui partagent une «tendance maximaliste, une tendance à l'excès, à l'ambition démesurée» (64) ; «esthétique romanesque maximale» (64) ; «maximalisme romanesque» (65)
Ruffel étudie la figure de Dondog d'Antoine Volodine, figure particulière qu'il juge reprise un peu partout dans la littérature contemporaine. Le personnage, cette figure, représente l'époque contemporaine : au bord du rien, les pieds ballants dans le vide, se demandant ce qui peut bien suivre… La répétition de cette figure dans la littérature «évoque une fin de partie» ; «Qu'ils soient devant le gouffre, situés aux confins géographiques, ou face contre sol, les personnages ainsi décrits ont tous un point commun. Leur corps est une fin. Et la fin est cette idée. Mais cette représentation est plus complexe. Leur corps est une frontière entre un avant et un après. Il se développe une histoire, après la fin, qui la prolonge ou la renouvelle.» (9)
Si la fin n'est pas en soi une caractéristique de notre époque (10), les trois fins les plus proclamées par les discours dominants en fin de siècle ont été : 1-celle de l'histoire 2-celle des idéologies 3-celle de la modernité (11). En examinant la production contemporaine, Ruffel constate que «la fin du vingtième siècle fut moins le théâtre des trois fins que le moment d'une profonde mutation des paradigmes esthétiques et politiques» (11). Il propose ainsi de nommer ce moment de mutation, «le dénouement» (11) - «le passage d'un siècle à l'autre» (14). Pour Ruffel, le dénouement, en levant les contradictions et en déliant les fils de l'intrigue, est un élément plutôt «fondateur» : «Ni début ni fin, limité et transitoire […] il déploie une temporalité complexe, tout à la fois tourné vers le passé qu'il transforme et le futur qu'il autorise.» (11) Le dénouement est alors ce qui ouvre à l'inconnu, en proposant une «nouvelle configuration de l'histoire» (11), notamment pour l'histoire littéraire et celle des idées (12). Selon Ruffel, les productions artistiques de la fin du XXe siècle ont tenté de défaire les nœuds («conflits», crises, catastrophes du XXe siècle), ont «cherché de manière tout à fait originale, des voies pour les défaire» (12). Ce mouvement qui tend vers le dénouement est donc associé à des modes de représentation particuliers.
Ruffel distingue alors les «figures du dénouement» (13-14) - Antoine Volodine, Pierre Guyotat, Valère Novarina, Olivier Rolin, Pascal Quignard - des «discours du dénouement» (14) - discours perceptibles juste après la «double chute (du mur de Berlin, des statues de Moscou) chez des philosophes» (14) comme Jacques Derrida, Alain Badiou et Jacques Rancière.
Les œuvres littéraires sélectionnées dans cet essai «problématisent, de manière fort différente mais toujours perceptible, leur rapport à la fin, à l'histoire et aux enjeux de la modernité. Parce que surtout, la parole, dans chacun de ces livres, procède d'une position terminale» (45) - que l'on pense seulement au Post-exotisme en dix leçons, leçon onze de Volodine.
Des oeuvres-mondes/romans-mondes : «[…] il semble que chacune des œuvres dont il est question puisse être d'une manière ou d'une autre comparée à La Comédie humaine. Celle de Guyotat, Novarina et Volodine, construisent, grâce à des procédés littéraires, comme l'était en son temps le retour des personnages, de livre en livre et à l'intérieur de chaque livre, des univers parfaitement singuliers et repérables : œuvres-mondes, mondification.» (61)
Procédés identifiés par Ruffel : énumérations, listes (par exemple Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze - liste de livres offrant un espace hors du livre qui poursuit le livre de Volodine, p. 48) ; métadiscours (discours d'anticipation, sur la fin, p. 51) ; accompagnement théorique des œuvres, «fiction théorique» (61) ; état limite du narrateur, «situation élocutoire limite», position terminale de la parole (le lieu de la parole se situe aux extrêmes : géographiques, de la vie, de l'histoire, de l'humanité, p. 63) ; «dérèglement du texte» (63) à cause de l'état limite du narrateur (accumulation de longs blocs textuels, de phrases démesurées ou de longs discours syncopés par des points de suspension ou d'exclamation).
Le nouveau paradigme esthétique créé est donc celui de la «fabulation la plus intense» (64), liée à la position terminale de la parole, une parole poussée à ses limites (la situation élocutoire limite, aux limites, et de la fin, mais «posture terminale initiale» où la fin devient des multiples points de départ, où la fin vit avec ses fantômes, une sorte d'«héritage avec transmission», p. 81-82/102). «[F]abuler le XXe siècle» (75), c'est alors fuir «l'immobilité» (82), c'est s'extraire d'une culture nationale précise et écrire la mémoire collective commune à tous les individus du XXe siècle (75).
L'esthétique romanesque maximale fonde une «esthétique du dénouement» (65). Ruffel nomme ces figures, ces auteurs, «les maximalistes» (65) : «Maximale, leur volonté de toucher l'histoire du XXe siècle et ses régimes de représentation ; maximal, leur désir de faire monde.» (65) L'esthétique du dénouement débouche sur l'«internationalisme littéraire» (67), la mondialisation de la littérature, l'ouverture à la «littérature mondiale» (70) (il donne l'exemple du renoncement à l'identité de l'auteur français contemporain comme le fait Volodine / «Écrire en français une littérature étrangère»). L'internationalisme devient alors paradigme esthétique. (75)
Cette réflexion sur la fin (et l'excès, le maximalisme) se veut plus thématique que narrative (entendue ici comme narratologie, les voix du discours).
Ruffel propose, en fin de parcours, de distinguer le roman du récit (forme-genre), définissant le récit comme œuvre narrative tournée vers le passé qui est achevé - une fin est présente mais sous les traits d'un monde disparu que les auteurs tentent de sauver de l'oubli (97-98), avec un processus qui a tout du témoignage et du documentaire (Pierre Michon, François Bon, Pierre Bergounioux). Il affirme que les romans-mondes, d'une esthétique romanesque maximale, de leur côté, s'inscrivent à la suite de la fin (99), ils sont donc tournés vers le futur.
Une réponse au réel éclaté, aux limites de la fin, d'un tournant de siècle : la position terminale de la parole des figures maximalistes.
«Inventer le monde, c'est transmettre la pluralité linguistique, sa différence.» (72)