Ceci est une ancienne révision du document !
MILOT, Pierre, La camera obscura du postmodernisme, Montréal, l'Hexagone (Essais littéraires, 2), 1988. [VA - janvier 2011]
Camera obscura - table des matières
Note : cette fiche ne reprend pas le modèle élaboré pour repérer le discours sur la diffraction dans le champ critique, car il s'agit davantage d'un ouvrage qui contextualise l'avant-garde dans le champ littéraire dans les années 70 et le passage de cet avant-garde à la postmodernité dans les années 80. Cela dit, pour cette même raison, j'avoue avoir eu quelque difficulté à cerner les éléments pertinents pour la problématique de la diffraction et de sa mise en contexte. Non seulement le discours m'est apparu un peu hermétique mais, en prenant pour objet l'avant-garde littéraire des années 70 au Québec, c'est essentiellement la poésie qui retient l'attention de l'auteur. À tout le moins ai-je donc tenté d'indiquer l'objet de chaque essai (ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'un essai relativement important de la période contemporaine et qu'aucune fiche de lecture n'a encore été rédigée) et de recueillir au passage des citations susceptibles d'être intéressantes sinon pertinentes (en toute incertitude)… Le résultat manque malheureusement d'unité et de cohésion…
1. L'AVANT-GARDE : PROCESSUS INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LÉGITIMITÉ
« Le présent essai est une esquisse sociologique : il s'agit ici de construire l'espace social dans lequel s'est déployée l'avant-garde littéraire des années 70 au Québec. Ce travail analytique a donc pour objet un ensemble flou constitutif de la logique même du phénomène analysé, soit la génération des écrivains qui ont émergé à travers les revues dites de la “nouvelle écriture” : la Barre du jour / la Nouvelle Barre du jour et les Herbes rouges » (13).
« Lorsqu'une avant-garde s'est institutionnalisée, et c'est l'hypothèse que nous soulevons en ce qui concerne l'avant-garde littéraire des années 70, on cherche inévitablement à lui trouver un fondement, un principe fondateur par lequel l'ensemble des agents et de leur production seront inscrits dans l'histoire du champ littéraire. On entreprend donc de dresser la liste des noms consacrés, d'établir le corpus des oeuvres qui définissent le mieux les règles du genre et les procédés rhétoriques, de même que la périodisation qui a marqué l'avènement et le développement du “nouveau style”, de la “nouvelle génération”, et surtout du nouveau type d'énonciation auquel sera accroché un titre de valeur générique : le “formalisme”, la “nouvelle écriture” » (14-15). Or, « [c]e qui distingue la stratégie d'émergence de l'avant-garde, c'est qu'elle s'inscrit d'entrée de jeu dans le champ littéraire comme corps conducteur de subversion et qu'elle conteste par le fait même les normes et les valeurs de succession imposées aux héritiers en attente de promotion. De sorte qu'au moment de son accession à l'institution l'avant-garde doit déployer toute la maîtrise de son pouvoir symbolique pour légitimer sa nouvelle position » (15).
Nicole Brossard est célébrée comme figure de proue de la « nouvelle écriture » (18).
Milot situe l'avènement du mouvement féministe dans le champ littéraire à partir de 1975. « Axée sur les modalités énonciatives […] et sur les thèses de la philosophie post-structuraliste […], cette écriture “des femmes” a contribué à restructurer les jeux de relations et les enjeux performatifs de l'avant-garde » (25). « Comme quoi [conclut-il] les conflits de légitimité sont les temps forts du processus institutionnel, les moments critiques où se ressoude l'intérêt générique des agents pour la maîtrise des positions stratégiques de leur mode d'existence » (25).
2. LA LÉGITIMITÉ OFFENSÉE DE L'AVANT-GARDE LITTÉRAIRE DES ANNÉES 70
Dans cet essai, Milot reprend et explique la polémique engagée par un texte de Jean Larose paru dans Liberté en 1985 qui s'en prenait, en réaction à un numéro spécial de Voix et images, à la « modernité » des poètes de la NBJ. Ce qui intéresse Milot dans le texte de Larose, « c'est ce que son analyse trahit des conflits émergeant entre agents opposés de l'institution littéraire dans l'état actuel de son autorité constituée » (30).
Au passage, Milot relève que « ce qu'il est convenu d'appeler l'avant-garde littéraire des années 70 comportait des tendances relativement bien démarquées (formalisme, maoïsme, féminisme, contre-culture), et les trois premières de ces tendances étaient prédominantes par rapport à la dernière » (31).
« [P]our saisir la structuration de la sphère restreinte de production que constituait l'avant-garde littéraire québécoise du début des années 70, il faut la replacer dans son rapport d'homologie récurrente [concept clé de Milot sur lequel il reviendra plus en détails] avec les stratégies institutionnelles et esthétiques de l'avant-garde parisienne » (32). Cet avant-garde parisienne, sous l'égide de Tel Quel, exploite entre autres le paradigme de l'intertextualité « pour légitimer ses multiples sources d'emprunt et son débit des divers courants théoriques » (32), de même que pour justifier la disparition de la notion d'auteur et de celle d'oeuvre. Or, « [s]i l'on ouvre un numéro de la Barre du jour du début des années 70, on peut repérer presque terme à terme les équivalents intertextuels dans le mode d'énonciation des textes publiés » (33).
Ainsi, Milot propose le concept d' «homologie récurrente» et de «processus institutionnel», plutôt que celui de « mimétisme » (Larose, entre autres), pour parler des rapports entre avant-garde québécoise et française. La « stratégie d'émergence comme avant-garde littéraire [québécoise] a été de s'ajuster au champ parisien de la “modernité”, telle que mise en marché par la revue Tel Quel, les philosophes post-structuralistes et les féministes littéraires des Éditions des Femmes […]. Au Québec aussi il fallait remiser Lagarde & Michard dans les placards du système d'enseignement et remplacer les objets dévalués des études littéraires : la sémiologie, le structuro-marxisme, la philosophie du désir et de la déconstruction ont donc envahi les départements d'études littéraires qui ont été pris d'assaut par les revues d'avant-garde des années 70. […] Il y a donc corrélation entre le développement institutionnel de l'avant-garde dans le champ littéraire et dans le système d'enseignement » (34-35). [Pour d'autres précisions sur le concept d'homologie récurrente, voir Le paradigme rouge. L'avant-garde politico-littéraire des années 70].
3. LES LIVRES PARLENT : DE L'IMPOSTURE ET DES IMPOSTEURS
Milot s'intéresse ici aux oeuvres de trois poètes - André Beaudet, Michel Muir et Claude Beausoleil -, qui « accumulent les indices tendanciels de ce qu'est la situation actuelle de l'avant-garde littéraire au Québec, à savoir l'état des agents qui y développent leurs stratégies discursives en s'autorisant d'un dispositif critique par lequel ils anticipent de s'inscrire dans les processus de légitimation de l'institution littéraire » (39).
4. LA CAMERA OBSCURA DU POSTMODERNISME
Milot retient deux livres différents, Interventions du parlogue 1 d'André Beaudet et l'Artiste de Pierre Bertrand (philosophe), mais qui se rejoignent par des préoccupations intellectuelles communes : se situant « en rupture par rapport à l'ensemble des positions dominantes dans le champ intellectuel québécois » (47) dans les années 80, ces deux ouvrages se caractérisent par un « retour du refoulé (le sujet) » (48). «[A]près la vogue structuraliste des années 60 et 70 […], le vécu reprend ses titres de noblesse et la métaphysique qu'on avait voulu “déconstruite” (le décentrement du sujet) réintroduit le “mystère”. Avant d'être québécois, ce phénomène de reconversion a d'abord été le fait de l'avant-garde parisienne […]. Les Interventions du parlogue et l'Artiste répondent par conséquent à une “demande actuelle” du marché des années 80 » (48).
« N'étant plus dans l'espace social et institutionnel de l'époque de la “désespérante expérience de Borduas”, époque où les scandales littéraires et artistiques étaient encore politiquement possibles, l'avant-garde [québécoise] des années 80 doit aller chercher ses objets de transgression sur le marché de la postmodernité parisienne » (49) - notamment du côté de Philippe Sollers, qui change le nom de Tel Quel pour L'Infini.
5. QUI A PEUR DE L'INTELLECTUEL EN 1987 ?
Milot examine les « mécanismes d'argumentation » de la polémique entre « modernité » et « retour du sacré » qui a opposé, d'une part, Hughes Corriveau et Normand de Bellefeuille (Herbes rouges) et, d'autre part, François Charron et André Beaudet (NBJ).
6. MODERNITÉ, AVANT-GARDE, POSTMODERNITÉ : LES CONDITIONS DU DÉBAT
« Le présent essai a donc un double objectif : d'abord la reconstruction analytique du débat Habermas-Lyotard [sur le PM] par la confrontation de leur échelle argumentative et de leur trajectoire institutionnelle respectives (y incluant la posture de Scarpetta), puis l'examen sociologique de cette sorte de quadrature du cercle à laquelle nous expose la logique universalité de Jürgen Habermas, le métalangage relativiste de Jean-François Lyotard et la reconversion postmoderne de Guy Scarpetta » (61-62).
« Au Québec, ce débat [sur le PM] s'est développé en filigrane des “fictions théoriques” [Milot n'en donne aucun détail] et des polémiques lancées par les revues de l'avant-garde littéraire (la Nouvelle Barre du jour et les Herbes rouges). Mais plutôt que d'analyser les investissements conceptuels de ce nouveau commerce, les écrivains associés à ces revues n'en ont retenu que les procédés rhétoriques qu'ils ont retraduits dans un syncrétisme d'expressions régulées par l'effet de mode du parisianisme : “nouvelle écriture”“, “retour du sacré”, “mort du genre” etc. » (61).
« Au Québec, l'avant-garde littéraire des années 70 s'est beaucoup intéressée à la philosophie française (un peu d'Althusser, beaucoup de Derrida, du Deleuze par-ci, du Lyotard par-là, sans oublier Foucault), à travers la lecture de Tel Quel. La modernité a été située au stade de l'avènement du tryptique Marx-Freud-Nietzsche, coupée de sa généalogie historique et de son espace social. Cela a donné un style épigraphique où l'argumentation philosophique est devenue une affaire de déconstruction rhétorique légitimée par la figure d'un “grand philosophe”. Par contre l'avant-garde littéraire ne s'est guère intéressée au champ philosophique indigène, de sorte qu'il faudrait chercher longtemps pour retrouver une discussion à propos d'un philosophe québécois dans un essai des Herbes rouges ou de la Nouvelle Barre du jour » (81-82). « Tout compte fait, les concepts de modernité, d'avant-garde et de postmodernité n'ont pas été discuté dans les “fictions théoriques” et les polémiques des écrivains de la NBJ et des Herbes rouges. Les protagonistes postmodernes de la “nouvelle écriture” n'ont pas cherché à en saisir les conditions de possibilité : ils en ont fait un usage strictement rhétorique » (83).