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KLUCINKSKAS, Jean, et Walter MOSER (dir.), Esthétiques et recyclages culturels. Explorations de la culture contemporaine, Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa (Actexpress), 2004. [VA - février 2011]
Esthétiques et recyclages - table des matières. (J'ai inscrit l'objet détaillé de chaque partie de l'ouvrage dans cette table des matières.)
Note : Se trouve ici résumée l'introduction de l'ouvrage ; une attention particulière a été portée à la notion de recyclage.
L'ouvrage s'articule autour de la conjugaison de la question de l'esthétique et du processus de recyclage (3).
Si nous sommes loin aujourd'hui (2004) des « changements radicaux » apportés par les avant-gardes historiques au domaine de l'art, il n'y a pas moins des « bouleversements, des secousses majeures qui affecteraient tant le champ de l'art que celui de l'esthétique, mais surtout la corrélation stable qui semblait s'être établie entre les deux. L'oeuvre d'art, ainsi que l'expérience qu'il procure, était l'objet privilégié de l'esthétique ; en échange, l'esthétique contribuait à donner à l'oeuvre d'art ses lettres de créances théoriques, voire philosophiques. Cette relation symbiotique semble aujourd'hui être rompue » (4). D'une part, les frontières qui délimitent l'art sont devenues poreuses, notamment par rapport aux champs de la culture, de l'industrie culturelle, des médias modernes, de l'entertainment, du showbiz, de la publicité, etc. Les plus pessimistes parleront de banalisation de l'art ; les plus optimistes y verront un signe d'ouverture. D'autre part et par là même, l'instabilité de l'art conduit l'esthétique à se poser des questions déstabilisantes : « Peut-elle continuer à se concevoir et à se légitimer d'abord comme une théorie (philosophique) de l'art (oeuvres et expériences)? Son existence de discours académique, et surtout de sous-discours philosophique, est-elle encore assurée? » (5) Depuis les années 1980, à la faveur de la crise qui la frappe, l'esthétique cherche ainsi à se redéfinir - notamment par les nouvelles technologies qui modifient notre expérience du monde.
L'ouvrage collectif souhaite contribuer au débat « en couplant avec “esthétique” la notion de “recyclage” » (13), celle-ci apportant « une des impulsions de transformation majeure à la culture contemporaine. Ces transformations s'attaquent à la possibilité même de tracer une ligne nette entre le culturel en général et l'artistique en particulier » (13). Par « recyclage », les auteurs entendent aussi bien « revival », « remake », « sampling », « copy-art », « pastiche », « parodie », « plagiat », « réécriture », « recréation », « reconversion » (13) : tous des procédés recyclants avec lesquels la production culturelle contemporaine a, dans une grande proportion, partie liée. Le paradigme du recyclage s'impose donc aujourd'hui comme dominante, encore que ses contours demeurent flous.
Certains facteurs historiques ont contribué à la transformation des conditions et des possibilités de la production culturelle, favorisant l'émergence d'une « culture recyclante » (18). Les auteurs identifient l'art industriel, qui permet de fabriquer, à partir d'un moule, « un très grand nombre d'objets identiques » (16) ; la reproduction mécanique de l'oeuvre d'art que permet, entre autres, la photographie par le tirage d'une photo en plusieurs exemplaires (16) ; le traitement numérique des données multimédias, c'est-à-dire la transposition de l'oeuvre sur un support électronique numérisé (17). Ainsi, au paradigme de nouveauté, d'originalité et d'authenticité qui dominait auparavant se substitue celui du copiage, du recyclage et de la sérialité (18). La rupture n'est toutefois pas nette, et il ne faudrait pas croire que chacun de ces paradigmes constitue un bloc homogène et unitaire. « Comme dans toute périodisation historique, il est tout au plus question de traits dominants, d'un changement de tendance. […] De complexes va-et-vient entre eux se manifestent et des phénomènes de survivance de l'ancier, de réactivation du résiduel et même de résurgence de ce dont la mort a déjà été annoncée, voire décrétée, sont à observer » (19).
La « problématique culturelle du recyclage se manifeste aujourd'hui sur plusieurs scènes discursives dans divers champs pratiques et donne lieu à des manifestations concrètes très variées dans la vie culturelle contemporaine » (19). Les auteurs de l'introduction identifient quelques-unes de ces pratiques et théories du recyclage culturel :
- Culture matérielle et projets esthétiques recyclants : « le recyclage peut être appliqué à certains projets artistiques parce qu'un processus recylant entre de manière constitutive dans la production des oeuvres » (19).
- Recyclage et histoire culturelle : rebarbarisation. Tirée d'un ouvrage de Manfred Schneider, la figure du barbare permet de souligner deux aspects particuliers de l'esthétique du recyclage culturel : « Le premier est sa dimension critique ; par sa composante de mise à zéro et de sortie des continuités, l'acte de recycler comporte un potentiel de critique culturelle. Le deuxième est son moment négatif que l'usage écologiste du terme essaie de faire oublier ; recycler commence par la destruction, par la négation de ce qui est culturellement formé, constitué, institué » (22).
- Recyclage et médias : remediation. Il s'agit d'un concept formulé par David Jay Bolter et Richard Grusin. Ceux-ci montrent que « les médias modernes accélèrent et intensifient les processus de recyclage culturel » en même temps que « leur propre logique d'émergence [est] fondée sur des stratégies de recyclage » par la reprise d'anciens médias (23).
Enfin, dans l'introduction de la première partie, on retiendra ce passage où les auteurs soulignent, plus précisément, la dimension toute contemporaine du recyclage : la pratique culturelle du recyclage « développe un triple potentiel de contestation. D'abord, il abolit l'obligation moderne (avant-gardiste) de produire de la nouveauté, de l'originalité, de l'innovation par le geste de la table rase. Ensuite, il prend pour acquis une disponibilité généralisée de tous les matériaux culturels, ce qui favorise le paradigme multiculturel en brisant le paradigme colonial où seule l'artiste de la métropole avait le droit d'exploiter comme ressource culturelle les matériaux des cultures périphériques, l'artiste de la périphérie étant obligé de copier les modèles du centre. Finalement, il illustre, sur la base des nouvelles technologies, l'accélération et l'intensification de la circulation des matériaux culturels qui instaurent de nouvelles conditions de production artistique » (30).