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Table des matières
Robert DION, Frances FORTIER et Élisabeth HAGHEBAERT [dir.],Enjeux des genres dans les écritures contemporaines, Québec, Nota bene (Cahiers du CRELIQ), 2001.
1. Terminologie pour désigner le pluriel
- Hybridité des genres, passage, entre-deux (18). - « Jeu métalinguistique » de l’écriture (43) - Éclatement de la notion de genre (60) - Rapiéçage, recyclage, patchwork (61) - Métissage (171) - Phénomène de transition (208)
2. Explications et concepts utilisés
Vingt ans après Genette, plusieurs perspectives dans l’étude de la généricité :
- perspective objective : attentive aux modalités formelles de la production de sens. Le genre demeure « la médiation la plus évidente entre l’œuvre individuelle et la littérature » (Antoine Compagnon).
- perspective pragmatique : généricité comme genèse des œuvres. S’intéresse aux règles génériques constituantes par le biais du statut énonciatif et de la dominante illocutoire. L’œuvre littéraire possède des « propriétés génériques qui la dénotent » (Schaeffer, 1995).
- perspective lectoriale : aspect social des œuvres; le genre devient un « modèle de lecture » qui oriente la stratégie interprétative et la réception du lecteur.
- perspective métacritique : entend « formaliser les types de processus qui caractérisent les productions discursives. » (logiques génériques de Schaeffer, « prototypes » ou schémas cognitifs de Dominicy). (15-16)
Inflexions majeures des études actuelles (17) :
- L’acte littéraire est perçu comme un « acte sémiotique complexe » qui permet d’envisager les textes comme des « agrégats » de formes discursives
- Volonté de mettre à jour les tensions génériques qui informent le texte plutôt qu’en examiner l’appartenance générique : conception dynamique et non plus typologique : reconnaissance de « l’impureté » des productions permet de contourner l’écueil essentialiste.
- Instabilité de toute identité générique : « Un texte ne saurait appartenir à aucun genre. Tout texte participe d’un ou de plusieurs genres, il y a toujours du genre et des genres mais cette participation n’est jamais une appartenance (Derrida, 1986 : 264).
CHAPITRE 1 - Dimension sociohistorique.
- Pierre V. Zima, « Vers une déconstruction des genres ? » : Trace un panorama de l’évolution du genre romanesque « de la crise de la modernité, qui « théorise » la littérature romanesque, à la réponse postmoderne, qui confirme la renaissance du récit traditionnel ». Il s’intéresse à la notion de déconstruction des genres dans un contexte de pluralisme esthétique et générique et établit un parallèle entre situation sociohistorique et évolution des genres. (18)
Conclusions de Köhler : Le système générique peut réagir aux transformations sociales en augmentant la capacité des genres individuels; un nouveau genre peut apparaître dont la forme correspond aux aspirations ou à la situation changée d’un groupe social, d’où l’apparition d’hybrides dans les périodes de transition; un système générique peut être aboli et remplacé par un système alternatif.
« Comment rendre compte de l’apparition, de la transformation et de la disparition des genres par rapport à l’évolution sociohistorique? La désintégration et la déconstruction volontaire des genres sont dues à la déchéance ou à la reconstitution de certains phénomènes sociaux : des états féodaux, de la société de classes dominée par la bourgeoisie, de certaines formes de communication ou de l’individu de l’époque libérale en tant que Sujet individuel. » (33) La notion d’ «épopée subjective » de Goethe a donc finit par remplacer la définition du roman en tant qu’épopée collective. Selon Zima, le changement actuel du Sujet individuel au sein du roman (déclin de l’individu libéral et de l’idéologie individualiste au profit de l’autonomie cognitive et de l’activité autonome de ce Sujet) est un facteur de transformation du genre romanesque :
« À la différence de ces romanciers modernistes [Proust, Musil, Kafka, Svevo et Pirandello] qui cherchent encore à distinguer en racontant la recherche d’une valeur esthétique, éthique ou politique souvent introuvable, les romanciers postmodernes abandonnent cette rechercher métaphysique parce qu’ils considèrent les valeurs antagonistes comme interchangeables, indifférentes. Les nouveaux romans français, les romans ou récits américains de Barth, Pynchon ou Barthelme, les romans de Süskind en Allemagne et d’Eco en Italie ne sont plus les recherches d’un Sujet en crise, mais des jeux avec le langage et avec des formes anciennes envisagées sous un jour ironique. Le Sujet individuel de ces romans est souvent […] un pseudo-Sujet et le roman, qui cesse d’être une épopée subjective au sens de Goethe, tend à se dissoudre en récit, en collage textuel ou essai. » (34)
Le genre romanesque moderne (« individualiste et rationaliste ») est fondé sur la prémisse idéologique que le monde peut être connu et maîtrisé par le Sujet. Le roman réaliste (XIXe) repose sur le système des valeurs bourgeoises, sur la quête de l’être derrière le paraître et l’opposition entre le Bien et le Mal, tandis que les romans modernistes (Kafka, Proust, Gide) lient vérité et mensonge, Bien et Mal. Les personnages sont soumis à une ambivalence paralysante. Dans le roman postmoderne, la recherche (de la Loi, de l’Art, de la Vérité) est vidée de sens : aucune essence ne se cache derrière les apparences. Des écrivains comme Robbe-Grillet restent intentionnellement à la surface des choses dans une parodie de la recherche métaphysique des modernistes.
CHAPITRE 2 - Phénomènes socioculturels
- Claudine Potvin, « De l’utopie féministe comme genre littéraire » : présente l’utopie féministe comme le levier de l’abolition de la notion de genre, mettant de l’avant la force productive de la délinquance dans la reformulation de la culture. Le genre est perçu par Potvin comme un contrat social à transgresser. (19)
- Gender : construction générique socioculturelle indépendante de la différentiation sexuelle biologique ou naturelle.
- La fragmentation, la rupture et le mélange des genres sont reconnus dans l’écriture féminine : « En pratiquant l’hétérogène et l’hybridisme et en refusant l’immobilisme et la fixité des règles et des conventions génériques établies, ces écrivaines [Nicole Brossard, Yolande Villemaire, Louki Bersianik, France Théoret, Jovette Marchessault] entendaient se donner une langue et un code qui leur permettaient de s’échapper des cadres littéraires traditionnels, élaborés en territoire masculin, de les repenser en termes utopiques tout en repositionnant les « genres féminins » à l’intérieur de la théorie du gender. » (62) Selon Derrida, le genre constitue un cadre qui dicte ce qui est permit ou non, une limite à ne pas dépasser. L’utopie féministe, en se posant comme un genre sans règles spécifiques, échappe à l’encadrement, et constitue par le fait même une abolition de la notion de genre telle que développée par Derrida. (76)
- Janet M. Paterson, « La paradoxe du postmodernisme : l’éclatement des genres et le ralliement du sens » : La dissolution du littéraire, selon elle, s’inscrit dans l’histoire littéraire même; Paterson pose la question de la capacité signifiante de l’hybride et lui assigne un rôle de mémoire collective. (19) Dans Trou de mémoire, Le désert mauve et L’immense fatigue des pierres, l’hybride sert à représenter une vision iconoclaste du sujet au sein de la société (84) La pratique formelle de l’hybride varie et se manifeste de différentes façons dans chaque œuvre : par un mélange se voulant une transgression et même une destruction du genre romanesque chez Aquin, par une hybridité iconique et visuelle qui met en valeur l’hybridité du texte chez Brossard, par un mélange des formes littéraires et non littéraires chez Régine Robin témoignent de la puissance créatrice de l’hybride.
Quels sont les effets génériques d’une telle pratique de l’hybride ? Quel sens s’en dégage? - Ruptures des normes et dissolution du littéraire : l’hybridité abolit les frontières entre la parole poétique et ce qui lui est extérieur, comme le contenu d’un agenda ou des images publicitaires. Aboli la hiérarchisation des discours. (87) Paterson nuance cette idée de dissolution du littéraire : « Ainsi, entre dissolution et renouvellement, il y aurait non pas une opposition mais une charnière, c’est-à-dire un point de rencontre selon lequel l’éclatement des genres constituerait à la fois la désintégration d’une conception normative du roman et l’avènement d’une autre forme d’écriture
- L’hybridité, du moins dans le corpus sélectionné par Paterson, se rattache aux grands thèmes des romans (nécessité d’un bouleversement social chez Aquin) ou est utilisé à des fins idéologiques (exprimer le refus des contraintes imposées par le roman traditionnel perçu comme relevant du discours patriarcal chez Brossard). Chez Robin, elle traduirait l’altérité des immigrants. L’hybridité est créatrice de sens et va au-delà de la simple originalité formelle, donc.
[CHAPITRE 3 - Le théâtre et ses relations à la scène]
CHAPITRE 4 - Dimension textuelle du théâtre
- Anne-Marie Clément, « L’intergénéricité entre prose et poésie : stratégies discursives et stratégies énonciatives » : Questionne la dimension poétique des œuvres en prose de René Lapierre et fait ressortir « que c’est la voix, plus que la forme ou le contenu, qui est poésie ». Identité et subjectivité du sujet lyrique situé dans un entre-deux problématique. (20-21) Des combinaisons témoignant du métissage entre prose et poésie, comme « prose poétique, poésie narrative, poème en prose, récit poétique, etc. », parfois considérées comme des genres, ne garantissent aucune stabilité formelle : appuie la flexibilité de la notion de genre et favorise une approche dynamique plutôt qu’une approche statique et descriptive. Le métissage entre prose et poésie permet l’hétérogénéité des postures énonciatives, homodiégétiques et hétérodiégétiques, qui laissent peu d’espace pour la cristallisation d’un sujet lyrique. L’hybridité mène, dans l’œuvre de Lapierre, à une dépersonnalisation de l’énonciateur.
CHAPITRE 5 - Analyse textuelle
Jean-François Chassay : se livre à une réflexion sur la culture contemporaine en mettant l’accent sur la coexistence des registres scientifique, autobiographique, narratif et poétique dans le projet de récit de Jacques Roubaud (21) – projet flou, raté, à la structure complexe alternant récits, incises, bifurcations, insertions, etc. « Suivant le modèle oulipien, le récit a pour principe formel et sémantique une définition programmatique dont la formule est plusieurs fois promise (“'Le grand incendie de Londres' sera….”) mais finalement jamais donnée : la clé réside nécessairement dans cette incomplétude finale […] » (Cardonne-Arlyck, 1992 : 91-92) (212)
- Effets de l’hybridité des genres sur la temporalité : « hybride apparent de journal et de mémoires, le texte s’installe dans la temporalité propre à chacun de ces genres (présent du journal et passé des mémoires), tout en brouillant les marques qui permettent d’en régler l’ordre : il supprime la datation quotidienne du journal, et l’organisation chronologique des mémoires.» ( Cardonne-Arlyck, 1992 : 92) (213)
- Structure du texte et modes d’écriture rappellent l’hypertexte : « Pourtant, ces bonds continuels dans mon livre que représentent virtuellement […] les bifurcations les incises, toutes les espèces du genre insertions, sont l’équivalent d’un des privilèges absolus de la lecture : pouvoir, en ouvrant un livre, être aussitôt n’importe où. » (GIL, 48) (217) Les fragments constituant l’œuvre sont connectés, mais la lecture n’a pas à être linéaire : le lecteur a une certaine marge de manœuvre.
CHAPITRE 6 – Notion de recueil et de genres transversaux Irène Langlet, « Les réglages du genre : l’essai et le recueil »: Langlet « étudie les fluctuations des genres et des genres-frontières en observant le discours de l’entre-deux et de l’entre-genre (notamment chez Roland Barthes et Italo Calvino). Langlet s’intéresse au travail de réseautage et aux effets d’hypertexte internes que produit le discours essayistique. (21)
- « L’essai serait entre les genres, prélevant le meilleur en chacun d’eux (lettre, discours, dialogue, aphorisme, récit, description…) mais préservant son autonomie : loin d’un vulgaire « mélange des genres », il viserait à l’excellence dans la distance. » (230)
La mise en recueil de textes brefs leur confère souvent leur statut d’essai, ce genre étant difficile à classer; le recueil apporte un nouvel éclairage aux textes.
René Audet, Patrick Guay, Richard Saint-Gelais, « Avatars du recueil : les turbulences génériques des fictions collectives» : étude des cas de fictions collectives dans lesquelles « les variations du mode de production mettent de l’avant les circonstances de la rédaction et les tensions génériques à l’œuvre entre recueil et roman. » (21)
« Le recueil […] est-il en train d’émerger comme une forme et peut-être comme un genre distinct ? Cette autonomisation du recueil s’effectuant à travers l’idée de construction, comment repenser sa spécificité au roman? » (278)
Le livre à plusieurs auteurs doit composer avec divers paramètres : la mise en place d’un univers fictionnel commun; cohésion et cohérence; la tension entre le livre comme œuvre et le livre comme espace de jeu. (279) Le dévoilement progressif du jeu littéraire que constitue une œuvre collective (ici Mise à feu), en délaissant la cohérence narrative, laisse place à une cohérence pragmatique (284) : le lecteur suit à la fois l’histoire et sa réalisation.
« Les fictions collectives permettent de relativiser les conceptions génériques fixes du recueil et du roman. On savait déjà que la reconnaissance de ces genres repose sur une évaluation délicate de la part respective que l’autonomie et la subordination jouent dans l’économie générale du livre. Les fictions collectives compliquent davantage cette évaluation en faisant intervenir un autre paramètre, celui de la multiplicité des auteurs et ses conséquences. […] Nos œuvres amènent le lecteur à se demander ce qu’est un roman, ce qu’est un recueil – et à reconnaître à quel point la question peut être affectée par l’activation d’un trait jusque là inerte : les circonstances de la rédaction. »
[CHAPITRE 7 – Genres autonomes mais indissociables : l’épopée cinématographique, l’installation, l’impromptu.]
3. Cause(s) du pluriel
- Selon Zima, le changement actuel du Sujet individuel au sein du roman (déclin de l’individu libéral et de l’idéologie individualiste au profit de l’autonomie cognitive et de l’activité autonome de ce Sujet) est un facteur de transformation du genre romanesque. (33-34) La crise du genre littéraire commence lors de la crise de l’individualisme au XXe siècle; le modernisme est une période de transition vers le postmodernisme.
- Dans l’écriture des femmes, l’hybridité constitue un moyen de s’affranchir des genres crées en territoire masculin et des genres dits proprement féminins. L’hybridité constitue une négation du genre, créant ainsi un nouveau cadre de création.
- L’hybridité, chez Aquin par exemple, peut provenir d’une volonté consciente de déstabiliser, de transgresser.
4. Traces du discours critique des années 1970 dans le discours critique contemporain
- Dans la plupart des contributions, le discours des années 1970 (Bakhtine, Todorov, Greimas, etc.) sert de base, de référence pour définir la vision « traditionnelle » du roman. Le postmodernisme est généralement présenté comme le fruit d’une transition entre la production littéraire moderne et la production actuelle, plutôt que comme une véritable rupture. Le discours des années 1970 est donc nuancé, contredit parfois, mais pas rejeté pour autant.
5. Spécificités historiques culturelles et contexte socio-éditorial
Rien à signaler.